Lunch avec Homebodies
Interview avec Yianni Warnock, réalisateur de Homebodies
Homebodies est le troisième court d’une « trilogie du désespoir ». En quoi le film est-il relié aux deux précédents ?
Ce qui relie les films entre eux, c’est l’attention portée à des gens et des échanges qui sont tous très déconnectés. J’aurais sans doute dû appeler ça la « trilogie déconnectée », mais je trouve que le terme désespoir est très chargé et, en un sens, il confine à l’absurde. Dans cette acception et en rapport avec ces films, cela devient assez drôle. Le rôle principal masculin de Shane Gardiner est un autre lien entre Homebodies et les deux précédents films. Je peux être un peu maniaque, côté ordre, alors après avoir fait deux films avec lui, j’avais besoin de conclure par un troisième pour pouvoir dormir tranquille.
Les deux personnages forment un couple, mais ils semblent vivre leurs vies de façon indépendante. Pensez-vous que beaucoup de couples vivent comme ça de nos jours ?
Oui, je le pense. On me taxera de cynisme, mais j’ai le sentiment que pour la plupart les êtres humains sont incroyablement coupés les uns des autres sur le plan émotionnel. Mais peut-être que c’est moi qui suis ainsi et qui projette cela sur le reste de l’humanité. J’espère que c’est le cas. J’ai beaucoup d’amour à donner pourtant, vous pouvez me croire !
Vos personnages n’atteignent jamais leurs buts, mais paradoxalement, c’est ce qui les rassemble et les rapproche autour d’un élément presque symbolique : le disjoncteur. Y a-t-il tout de même un signe d’espoir dans votre trilogie du désespoir ?
Oui, je crois qu’on y trouve de l’espoir et de l’humour. De l’espoir qui résulte de l’humour, je dirais même. C’est particulièrement vrai pour Homebodies, où je crois qu’il y a un fort sentiment d’espoir qui se dégage malgré l’impuissance quasi-abjecte de la fin. Ce nom de « trilogie du désespoir » est très ironique. J’ai écrit ces films comme des comédies légères, mais comme on me dit souvent « tes films m’ont déprimé », cette dénomination s’est imposée surtout en réaction à ces retours.
Fuir en est l’un des thèmes centraux : par l’orgasme pour l’une, par la mort pour l’autre. Mais ce sont deux manières de fuir bien différentes. Pourquoi avoir traité ces deux éléments antinomiques sur un même plan ?
Le sexe et la mort font bien vendre, alors je me suis dit qu’il fallait en profiter et mettre les deux ensemble, pour faire d’une pierre deux coups ! On peut les appréhender comme deux extrêmes en opposition, mais ce sont aussi des constantes universelles et, plus essentiellement, des choses on ne peut plus humaines. On sombre vraiment dans l’instinctif quand on est au creux du désespoir. Je trouve que fuir est intéressant ; en temps qu’humain, je pratique personnellement beaucoup..
Votre scénario joue avec les codes de la comédie noire. Comment parvenez-vous à un équilibre, dans le récit, entre ces deux facettes, drôle et tragique ?
Je pense que l’humour le plus efficace vient du pathos. J’aime chercher le moment le plus tragique, puis y détecter quelque chose qui surprenne par l’humour. Je crois aussi que pouvoir rire de ces situations procède de la catharsis et est en soi porteur d’espoir. J’aurais pu tout aussi bien appeler ça la trilogie de l’espoir.
On ne sait pas exactement pourquoi le garçon se suicide, alors qu’on voit très bien que la fille souffre de solitude. Était-il dans votre intention de mettre en avant le personnage féminin ?
Non, je ne souhaitais pas vraiment qu’il y ait un personnage principal dans cette histoire, mais plutôt deux personnages avec lesquels les spectateurs pourraient s’identifier ou entrer en résonnance facilement. Si telle a été votre impression, alors j’ai échoué ! Je pensais que ne pas donner de raison au suicide, mais montrer une simple image de la tentative, renforcerait l’absurde. Si on prend le recul émotionnel nécessaire par rapport à ce concept, le suicide est un acte plutôt absurde pour un humain. En dehors de ça, les deux personnages s’efforcent de dépasser la banalité de leurs existences, chacun de manière bien différente mais un peu ridicule.
Comment avez-vous choisi la maison ? Quelles étaient les intentions derrière le décor ?
En toute franchise, le choix de la maison s’est fait en raison de sa disponibilité et de sa disposition qui se prêtait bien à l’installation d’un tournage. Elle avait juste ce qu’il fallait pour faire banlieue résidentielle et offrait une bonne profondeur et une bonne texture. Malgré son côté kitsch, c’est une maison typique des quartiers résidentiels de l’ouest de Melbourne.
Est-ce que Internet joue un rôle important dans leur manque de communication ?
Un rôle énorme !
Comment avez-vous élaboré vos personnages ? Les comédiens ont-ils contribué à ce travail ?
Les personnages ont essentiellement été élaborés par mes soins pendant le travail d’écriture du scénario. Mais en tournage, on travaille avec des personnes à part entière, qui ont leur propre histoire et leur instinct. Décourager ou ne pas utiliser ces instincts serait stupide – ce sont eux qui donnent vie à votre idée. On est simplement là pour les guider et s’assurer que le ton sur lequel ils jouent correspond bien à l’idée.
Avez-vous tourné en argentique ?
Nous avons filmé en 35mm.
Ce choix est-il plus coûteux que de travailler en numérique ? Quels en sont les avantages ?
C’est plus coûteux sur une production de cette envergure. Pour autant, on s’est débrouillé avec notre budget et on a obtenu des caméras gratuitement, etc. En ce qui me concerne, l’avantage relève de l’intangible et c’est un sujet qui devient rébarbatif après coup. Bien sûr, on pourra toujours dire que rationnellement cela ne présente aucun avantage, mais je crois qu’il n’y a rien de rationnel dans l’idée même de faire un film. J’aime l’idée que la pellicule soit une option créative à ma disposition que l’on peut choisir si nécessaire pour le projet. J’aime aussi travailler avec ce matériel et la tension que cela ajoute sur le plateau, ça me tient en alerte.
Dans quel contexte de production avez-vous travaillé ?
Vous voulez savoir comment s’est passé le tournage ? Sans commentaires.
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Homebodies faisait partie du programme Compétition Internationale I14.