Lunch avec Maître-chien
Entretien avec Jean-Alain Laban, réalisateur de Maître-chien
Comment vous est venue l’idée de prendre un gardien de supermarché comme personnage principal ?
Je vais vous décevoir peut-être, mais je n’ai pas été « inspiré » par un gardien de supermarché en faisant mes courses. L’idée m’est venue par élimination.
Je voulais inscrire mon film dans un genre, celui de la saga Vigilante (films d’auto-justice). Or, la plupart des précédents, pour la plupart Américains, mettaient en scène un policier. Ou bien un ancien militaire. Donc un gardien de supermarché avait l’avantage d’incarner la sécurité, de se sentir en devoir de représenter la justice. Je dis « de se sentir en devoir » car Didier, mon personnage, outrepasse largement ses prérogatives. Régler leur compte aux dealers du coin, il en fait une affaire très personnelle, alors que la criminalité est pour lui une menace lointaine. Ce qui le rend encore plus ambigu.
Comment avez-vous pensé la scène d’introduction de Maître-chien ?
En appliquant les « recettes » d’un scénario. Je devais présenter à la fois les personnages et les enjeux du film en une minute. J’ai eu l’idée de cette rencontre en voiture, au petit matin, alors que le maître-chien se rend au travail, et que le caïd rentre chez lui. Deux modes de vie se confrontent. Ils se défient, c’est une promesse d’affrontement ultérieur. D’autant que le maître-chien est humilié par le caïd : cette donnée est fondamentale. Bafouer son orgueil, c’est le prédisposer à rendre sa justice, non pas la justice. D’ailleurs, le titre anglais du film est Underdog : le chien dominé. Qui rêve de la place du dominant.
Pourquoi ce gardien devait-il avoir un chien ? L’animal était-il un outil ou ajoutait-il une autre dimension à votre personnage ?
Je lui ai donné un chien afin qu’il s’en serve comme arme pour assassiner les dealers – ce qui est plus vraisemblable pour un personnage français, qui n’a pas facilement accès à tout un arsenal comme les personnages Américains. Je trouvais également qu’avoir recours à un chien, pour tuer, était plus original que de le voir sortir un Magnum. Plus cruel, aussi.
Avez-vous pensé dans Maître-chien certains rituels, entre les hommes ou entre l’homme et l’animal ?
Certains rituels étaient nécessaires à la narration. Comme l’usage d’un cliquet, qui commande l’attaque du chien. Ou bien la séquence de dressage, durant laquelle Didier l’excite, avant de l’envoyer mordre à la jugulaire. Sinon, j’ai préféré laisser Thierry Hancisse, qui incarne brillamment Didier, tisser sa propre relation avec l’animal. Il me semble que leur complicité se ressent à l’écran.
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Dans Maître-Chien, votre personnage principal est à la fois attachant et insupportable. Comment avez-vous travaillé cette dualité ?
Simplement en montrant sa solitude. C’est la pitié qui le rend attachant.
Pour réaliser Maître-Chien, avez-vous fait des recherches sur les gangs en France ?
Je recommande la lecture de La loi du ghetto, une excellente enquête de Luc Bronner, pour laquelle il a reçu le prix Albert-Londres en 2007. Il était un peu « correspondant » pour Le Monde dans les banlieues françaises. Je dis « correspondant » car trop souvent, on traite des banlieues comme si elles ne faisaient pas partie de notre territoire. Leurs habitants, on les fait passer pour des « étrangers », qui n’ont aucun rapport avec « nous ».
Mais j’ai aussi passé beaucoup de temps dans un supermarché de la drogue à ciel ouvert. « La capsulerie », à Paris, arrêt de métro Galliéni. 200 clients se bousculaient le vendredi soir, sur un terrain de basket, car les dealers restaient derrière les grilles pour refiler leur marchandise. J’y ai croisé l’assistant d’un député de l’Assemblée Nationale, qui venait toucher son pochon de weed du week-end. Et je devais acheter aussi, sinon, les dealers se seraient méfiés. Mais comme je ne fume pas, j’ai fait des heureux autour de moi.
Lorsque j’ai rencontré le directeur du supermarché qui a gentiment accepté de nous prêter son lieu de travail, afin que nous puissions tourner Maître-chien, il m’a demandé combien de temps j’avais enquêté sur son quartier. Alors que j’y venais pour la seconde fois. Depuis la fenêtre de son bureau, il m’a montré le caïd local, les dealers, et les guetteurs : tous mes personnages étaient devant moi.
Pensez-vous que les groupes humains aient besoin de trouver une adversité contre laquelle se construire ?
Dans le Talmud, le diable n’existe pas vraiment. Du moins, ce n’est pas un Monsieur tout rouge avec une fourche qui guette votre faux pas pour vous faire cuire. Le diable, c’est « l’adversaire », celui que chacun a en lui. Alors, oui, par essence, on se construit toujours face à une adversité.
Entrer dans la danse permet-il d’arrêter la musique ?
Si cette question concerne Didier, le maître-chien qui « entre dans la danse » (qui se fait justice lui-même), pour « arrêter la musique » (mettre un terme aux agissements des dealers), alors la réponse est non. Entrer dans la danse fait simplement changer la musique. C’était du « Booba ». Ca devient du « System of a Down ».
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Que pensez-vous des médailles attribuées aux soldats pour leur bravoure à combattre ?
Je n’ai pas la prétention d’avoir un avis sur les médailles qui leur ont coûté si cher. Certains en sont sûrement fiers, d’autres n’ont peut-être jamais osé ouvrir la boîte qui les contient, de peur de raviver des souvenirs. Mais ceux qui les décernent le font parfois jusqu’à l’absurde.
Napoléon a lancé les travaux de ce qui est aujourd’hui l’église de la Madeleine, et devait initialement s’appeler « Le temple de la Gloire ». Il comptait faire graver sur des tablettes d’or pur les noms des Français morts au combat. « Gloire à la gloire », voulait-il dire en substance. Les Français ont commencé à s’interroger sur cette logique. La manipulation avait fait long feu.
Certains vétérans de la guerre du Vietnam ont jeté leurs décorations en guise de protestation. Et Harry Patch, le dernier survivant de la Grande Guerre, mort à 111 ans, a conchié ce qu’il appelait une « boucherie organisée », malgré le fait qu’on voulait le couvrir de gloire. Il me semble qu’avoir connu la guerre rend pacifiste. Ceux qui ne l’ont pas connue peuvent plus facilement entrevoir le bellicisme comme une option.
Votre maître-chien pourrait-il en recevoir une ?
Sa médaille, il la voudrait peut-être, mais alors simplement pour avoir récupéré les caddies que lui ont chipé les petits dealers.
Pensez-vous que le court métrage soit un bon outil pour questionner la cellule « familiale » et la « méga » cellule sociétale ?
On peut ne rien dire en trois heures comme résumer le monde en trois minutes. Tous les outils sont bons, si on sait ce que l’on veut dire.
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Pour voir Maître-chien, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F9.