Lunch avec Oh Lucy!
Entretien avec Atsuko Hirayanagi, réalisatrice de Oh Lucy!
Dans Oh Lucy!, vous abordez avec humour les différences de culture et de communication entre Américains et Japonais. Pensez-vous que les Japonais devraient s’ouvrir plus à la langue anglaise ?
Non, pas spécialement. Ces différences représentent ce que nous sommes d’un point de vue culturel, que nous le voulions ou non, et elles rendent le monde plus intéressant. Mais en apprenant à connaître ces différences, nous développons l’empathie envers l’autre. En s’ouvrant à l’autre, on apprend à mieux s’accepter soi-même et à accepter les différences.
À votre avis, c’est plutôt l’apprentissage linguistique ou le jeu de rôle qui déclenche cette remise en question chez Setsuko ?
Parfois, en jouant un autre personnage, on voit ressortir son vrai « moi ». J’en ai fait l’expérience en tant qu’actrice. Ce qu’on a l’habitude de dissimuler refait surface, en général un côté sombre de soi-même. Comme le disait Oscar Wilde : « C’est lorsqu’il parle en son nom que l’homme est le moins lui-même, donnez-lui un masque et il vous dira la vérité. »
Avez-vous pris des cours d’anglais qui utilisaient cette méthode ?
Pas exactement, mais oui, j’ai pris des cours de prononciation et le professeur me faisait effectivement parler avec un bouchon de liège dans la bouche pour travailler les voyelles. Parfois, il me demandait de faire semblant d’être américaine quand je lisais les exercices. C’était vraiment ridicule, mais intéressant.
Contrairement à Setsuko, sa nièce est très extravertie. Est-ce que cela reflète le fossé entre les générations au Japon ?
Ce fossé est énorme, oui. Par exemple, les jeunes d’aujourd’hui ont l’habitude de se faire photographier, de se montrer. Yu fait partie de cette « génération selfie ». C’est à l’opposé de la génération de Setsuko – celle de ma mère : ce qui les rassure, c’est de faire tapisserie, de se fondre dans la masse.
Dans votre film, vous vous moquez du monde de l’entreprise, qui est plutôt sinistre. Est-ce que cet environnement est la cause des inhibitions du personnage ?
Je ne pense pas me moquer… mais il y a un véritable plafond de verre pour les femmes au Japon. Ces femmes qui travaillent dans les bureaux (les « OL », office ladies) ne montent jamais en grade. Elles restent « OL »jusqu’à leur retraite – qui coïncide en général avec leur mariage ou leur premier enfant.
Pourquoi avez-vous choisi Kaori Momoi pour jouer le rôle principal ?
J’avais utilisé sa photo pour mon exposé de fin d’études, au cours duquel je devais montrer plusieurs aspects visuels de mon projet de film. Jamais je n’aurais cru que je ferais vraiment le film avec elle !
Dans quel cadre avez-vous réalisé ce court métrage ?
C’était mon court métrage de fin d’études de l’école des Arts de l’Université de New York en Asie, Tisch Asia. L’idée est venue lors d’un exercice : on devait écrire 100 idées en quatre semaines. Chaque jour, le prof nous donnait une contrainte, par exemple écrire une comédie romantique, un film de copains, une comédie musicale, un film d’action ou de dinosaures… L’idée de Oh Lucy! m’est venue lorsqu’on nous a demandé d’écrire un film sur quelqu’un qu’on connaît. J’ai écrit l’histoire de cette personne, puis j’ai intégré des éléments de mon expérience en tant qu’étudiante étrangère aux États-Unis.
Avez-vous des projets en cours ?
Je travaille sur plusieurs projets au Japon et aux États-Unis, dont un projet de long métrage pour Oh Lucy!
Il paraît que vous êtes ceinture noire de karaté. À votre avis, que nous apprend le karaté sur le cinéma ?
Quand on fait un film, on déploie une énergie infinie. C’est votre entêtement et votre capacité à prolonger certains délais imposés qui définissent la limite. Avec le karaté, j’ai appris l’art de repousser les limites.