Lunch avec Réplique
Entretien avec Antoine Giorgini, réalisateur de Réplique
Comment vous est venue l’inspiration pour Réplique ? Quelles connaissances aviez-vous des concours pour entrer dans une formation en Art Dramatique et avez-vous une sensibilité particulière au Théâtre ?
Je voulais surtout parler d’un type de personnage. J’ai travaillé dans des centres sociaux dans le nord de la France et c’est une activité qui m’a marqué. J’ai rencontré beaucoup de garçons en errance, qui ne savaient pas quoi faire de leur vie et qui oscillaient entre l’espoir et les conneries. Ça me touche beaucoup, ces jeunes qui ont des rêves comme tout le monde mais qui n’ont pas les moyens de les atteindre, c’est très triste je trouve. Ma première volonté était de raconter l’histoire d’un de ces personnages.
J’ai un peu étudié le théâtre au début de mes études, j’ai lu ou vu de nombreuses pièces, mais on ne peut pas dire que le théâtre soit aujourd’hui présent dans ma vie. Ce qui m’intéressait était surtout de « lâcher » un garçon comme Tony dans ce milieu et d’observer les différences.
Votre personnage est sensible à deux types d’auditions différentes : celle du concours et celle de la police. Quelle place vouliez-vous laisser aux mots dans Réplique ?
Je pense que le dialogue est la chose que je préfère quand j’écris un scénario. La place que je laisse aux mots… Je ne sais pas trop. J’ai surtout voulu confronter deux langages et j’avoue avoir une certaine admiration pour les gens qui parlent, pensent et s’expriment bien. J’avais envie de voir une tête comme celle de Tony réciter du Shakespeare, ça m’amuse et ça me touche en même temps. Mais ça rejoint surtout les rêves de certains. Aujourd’hui, on va demander à un ou une jeune d’un bon milieu ce qu’il veut faire de sa vie, si il vous répond : « J’aimerais être comédien » on va lui répondre : « Très beau projet… C’est dur mais… Très beau projet ». Un jeune issu d’un milieu défavorisé dirait la même chose, on lui dirait : « T’es sûr que… Enfin… Je pense pas que ce soit une voie qui te… ». L’inégalité des chances est quelque chose qui me dégoûte et m’attriste profondément.
Votre personnage principal est à la fois touchant et agaçant. Comment écrit-on cette dualité ?
J’aime bien la définition que vous faites de Tony, agaçant et touchant, c’est ça en effet. Moi j’avais carrément envie de lui mettre des baffes, mais à côté de ça, j’avais beaucoup d’affection et de respect pour lui. J’ai juste écrit des situations et des descriptions donc ce n’est pas vraiment à l’écriture que je décide de ça mais plutôt en casting, quand je commence vraiment à construire mon personnage. Je voulais vraiment que mon personnage agace le spectateur, sinon je ne vois pas l’intérêt. Pas un petit gars populaire un peu voyou, gentil, belle victime, amusant, ça ne m’intéressait pas.
Avez-vous pensé le film comme tel ou avez-vous envisagé un « avant » et un « après », un « pourquoi » ?
Oui, le film est assez proche de ce que j’avais imaginé. Je ne comprends pas le « pourquoi ? » de votre question.
Dans Réplique vous donnez à voir la peur d’une déception et l’impuissance que rencontre votre personnage principal pour éviter cette déception. Pourquoi étiez-vous intéressée de le montrer se débattre ainsi contre le déroulement du temps ?
Je ne sais pas trop, peut être que je suis un peu cruel… Je voulais surtout mettre Tony dans une très mauvaise position, me servir de son caractère (l’impulsivité) et du milieu du théâtre pour l’enfoncer jusqu’à la violence physique. C’était nécessaire pour faire émerger une émotion à la fin du film.
Pourquoi vouliez-vous donner à voir les différentes bascules qui l’amènent à prendre la mauvaise route ?
C’est comme cela que j’ai conçu mon scénario, le but n’était pas de faire une étude sociologique. J’y réponds un peu dans la question précédente mais le but était de mettre Tony dans de sales draps et dans un court, il faut choisir, je pense, l’action ou la réflexion… J’ai choisi l’action. Mais ça ne veut pas dire qu’elle n’amène pas de piste de réflexion.
Ce personnage, en pleine émancipation, semble en rupture avec sa famille, qui n’a pas l’air de partir à sa recherche. L’émancipation peut-elle se faire dans ce cadre ? Nécessite-t-elle d’ailleurs une rupture avec la famille ?
Je ne sais pas. Les cas sont tellement nombreux et différents. Dans Réplique, je ne pense pas que Tony soit fait pour le théâtre mais c’est peut-être un pas vers une forme d’émancipation, d’évolution en tous les cas.
Concernant la famille, je ne pense pas qu’il faille forcément être en rupture, en tous cas pas plus que dans un milieu plus aisé. Si je prenais un exemple de film comme Billy Elliot, Billy a besoin de rompre avec son père pour s’émanciper, mais moi j’ai l’impression que c’est le scénario qui en a besoin. Ça me paraît aberrant de présupposer qu’il faille faire de la boxe et travailler à la mine pour devenir un homme. Beaucoup de parents issus d’un milieu défavorisé poussent justement leurs enfants à suivre un autre parcours qu’eux et tout cela crée, certes, de la distance, mais aussi des liens très forts, de la reconnaissance et surtout de l’amour.
Comment avez-vous écrit les personnages adultes et quel effet vouliez-vous donner à voir ?
C’est vrai que tous les adultes présents dans le film font figure d’autorité, les professeurs aussi bien que les flics. Je dirais simplement que quand on est encore jeune, l’adulte est censé poser un cadre, que l’on peut critiquer ou pas. Ici, les adultes font simplement leur travail.
Pensez-vous que le court métrage soit un bon outil pour questionner la cellule « familiale » et la « méga » cellule sociétale ?
Tout dépend des scénarios, chacun fait son film et parle du sujet qui l’intéresse. Je pense qu’on peut tout interroger avec un court métrage, je ne crois pas qu’il y ait une recette spécifique à ce format, c’est justement un moyen de dire et de faire assez librement ce que l’on souhaite sur la famille, la société ou n’importe quel autre sujet.
Réplique a été réalisé avec une production, une coproduction ou en auto-production française. Avez-vous écrit ce film en considérant cet aspect « français » : rattaché des références cinématographiques, construit un contexte spécifique (dans une région par exemple) ou intégré des notions caractéristiquement françaises ?
C’est une coproduction franco-belge. Je viens du Nord-Pas-de-Calais et je suis très marqué par ma région, son histoire et ses habitants. J’ai écrit le scénario sans référence particulière, comme je le sentais venir en moi. Au stade de l’écriture du scénario, je pensais vouloir tourner dans le Nord. Mais nous avons tourné à Tours et c’était très bien. Je pense que l’on peut délocaliser beaucoup de types d’histoires, mais je raconte la mienne avec mon bagage, verbal, idéologique et esthétique aussi.
Pour voir Réplique, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F4.