Goûter avec Mamartuile
Entretien avec Alejandro Saevich, réalisateur de Mamartuile
Vous aimez l’absurde ?
J’aime la liberté que l’absurde me procure quand c’est une toile de fond sur laquelle les personnages peuvent déclamer leurs répliques solennelles sans réaliser la bêtise dans laquelle ils baignent. Ainsi, c’est en partant d’un postulat absurde fonctionnant sérieusement que nous avons obtenu le ton recherché pour cette histoire (écrite par Gabriel Nuncio et son père, Abraham Nuncio). En préparant le film, j’ai compris que tout était dans le langage : le cadrage, les décors, le son, l’utilisation de la musique, quelle chanson choisir et à quel moment la placer, le ton dans le jeu des acteurs… Il fallait que tout soit sérieux. Super sérieux. En outre, je ne voulais pas faire une critique directe de nos hommes politiques, mais créer un petit monde agréable que l’on partage avec le président et son conseiller, et laisser la critique résider uniquement dans l’absurdité de l’intrigue.
Comment avez-vous travaillé sur les diverses activités du président tandis qu’il parle avec son conseiller ?
C’est un président qui n’a pas de ferveur politique. Peut-être l’avait-il avant, mais il l’a perdue. Il est fatigué. Comme il voit approcher la fin de sa vie politique, il se concentre sur la qualité de la vie qu’il va entamer quand tout sera terminé. Et puis il tue le temps : il apprend des pas de danse, il va à la pêche, il coupe son bois lui-même. Je voulais qu’il soit sympathique, qu’on lui pardonne d’avance en attendant de comprendre ses véritables positions sur le problème. Nous avons donc abordé chacune de ses activités de façon très solennelle, en créant une passerelle entre elles. Une petite passerelle. D’un autre côté, à travers ces activités, on entraperçoit son univers intérieur, et on reconstitue soi-même le puzzle, non seulement en ce qui le concerne, mais aussi en ce qui concerne le Mexique que l’on ne voit jamais dans cette histoire.On a beaucoup répété pour construire ces évocations du passé et du présent des personnages. On a bossé pour en dire le maximum sur ce qui est hors champ, dans un autre cadre temporel. C’était une expérience de création passionnante.
D’où vient la chanson du générique de fin ?
Je l’ai écrite avec Federico Schmucler, un ami et excellent musicien. En y repensant, c’est incroyable avec quelle facilité on y est arrivés : on s’y est mis et en moins d’une heure, on avait la structure de la chanson, la mélodie et déjà plusieurs essais dans la boîte. J’ai écrit les paroles en français, une langue que je ne parle pas, en imaginant une ode qui résumerait tout ce qui vient de se passer. Et en tentant de créer l’illusion d’une vieille chanson chantée dans une taverne par des soûlards fiers de leur histoire et de leurs ancêtres. C’était une blague pour clore une autre blague, ce qui me convenait bien. Mes potes ont fait les chœurs, et le président, Jacobo Lieberman, qui est aussi musicien, a ajouté de la scie musicale. Quant au chant principal, c’est moi qui chante car je n’ai pas peur du ridicule. On a bien rigolé.
Pensez-vous que vous moquer de la politique va devenir un de vos thèmes de prédilection ?
Je me suis bien amusé à créer ces personnages du monde de la politique, mais je ne suis pas sûr de remettre ça. J’ai réalisé Mamartuile car j’aimais bien l’humour de cette histoire et que je voulais apporter mon regard d’étranger sur les particularités mexicaines, avec un peu de recul. Dans nos pays en voie de développement (je suis argentin d’origine), je pense que les hommes politiques se prêtent particulièrement bien à la satire. Nos dirigeants sont en général tellement éloignés de leur peuple qu’on a l’impression qu’ils vivent dans un autre monde. Voilà qui donne toute liberté d’imaginer une histoire avec des personnages réalistes qui disent des choses ridicules. Mais on peut retrouver cela dans les élites artistiques de nos pays, et c’est peut-être cet univers-là que je vais choisir pour mon prochain projet, car j’ai envie d’aborder la question de la moralité à travers l’humour.
Diriez-vous que le format court vous a donné une certaine liberté ?
J’ai vite compris que le court métrage était un genre à part entière, et qu’il y avait donc certaines règles à respecter. Du moins, c’est la voie que j’ai choisie de suivre pour ce projet. Il était primordial pour moi d’avoir un langage cinématographique très conceptualisé et de le respecter du début à la fin. J’ai conçu et étudié chaque scène, chaque costume en les intégrant dans un contexte global. Avec le chef décorateur (Oscar Tello), nous avons ajouté des éléments en arrière-plan qui participaient à une cosmogonie extrêmement minutieuse. J’ai collaboré avec un directeur photo très dynamique, à qui j’ai demandé de faire ce qu’il y avait de plus formel. Et j’ai fait la même demande à chaque collaborateur. En d’autres termes, de mon propre chef, je me suis donné le moins de liberté possible. Une chose que j’ai apprise sur le court métrage en réalisant Mamartuile, c’est qu’il y a un point commun avec le long métrage : la relation avec le spectateur. Après avoir regardé un long métrage, on ne se souvient pas de toutes les actions. On se souvient des personnages, d’une anecdote, de certaines ambiances ou de certaines émotions. Si le court métrage est bien fait, ces éléments vont marquer le spectateur avec autant de force que dans un long métrage.
Pour voir Mamartuile, rendez-vous aux séances du programme I4 de la compétition internationale.