Dernier verre avec Marie Salope
Interview de Jordi Perino, réalisateur de Marie salope
Comment avez-vous eu l’idée de la rencontre entre Marie et Karim ?
Marie est un personnage très librement inspirée d’une fille que je connais. Forte mais qui n’a pas les mots pour pouvoir se définir. Élevée dans le déni de sa propre condition. Je n’avais pas envie de traiter de ce qui préside à la constitution de cet enferment, j’avais envie de lui offrir un ailleurs, un monde ou le champ des possibles est aussi vaste que l’appétit que Marie a pour la vie. Cet ailleurs passe par Karim, un amoureux, un peu spécial lui aussi.
Pourquoi avez-vous choisi des personnages marginaux ? Ont-ils une magie particulière à vos yeux ?
Le franc-parler de Marie, l’impulsivité de Karim, c’est un moyen de foutre un joyeux coup de pied dans la fourmilière de la bienséance, des rapports sociaux codifiés, bref de la normativité. Leur rencontre a alors quelque chose d’explosif, de limite monstrueux mais aussi de puissamment vivant. Ils sont assez magiques oui, les décrire, les faire dialoguer, faire les premiers essais avec les comédiens, ont été des moments jubilatoires.
Marie Salope pose la question des apparences, du rapport que nous avons à ces apparences et du poids que ces apparences ont sur nos vies. Pourquoi étiez-vous intéressé par cette question ?
Pour le coup, c’est une histoire d’émancipation, d’acceptation de soi pour pouvoir vivre libre. Marie, c’est quelqu’un qui n’a pas d’autre mode que la franchise et la sincérité, elle est complètement premier degré. Elle ne passe pas sa vie à se mettre en scène ou à se vendre, c’est l’antithèse de ce que produit notre époque. Je crois qu’elle est un grand doigt d’honneur à la superficialité du monde, mais sans trop le savoir.
Comment avez-vous travaillé la musique dans Marie Salope ?
J’ai envoyé le scénario à un musicien dont le travail m’avait ému, Antoine Mermet. On ne se connaissait pas, il m’a répondu qu’il acceptait de composer pour le film alors que ce n’est pas forcément sa tasse de thé. Je lui ai laissé carte blanche pour une première proposition, ce qui m’a fait écouter m’a tout de suite plu. À partir de là, c’est au montage qu’on a vraiment trouvé la place que devait avoir la musique dans le film. Au final, la collaboration apporte quelque chose de fort à l’étrangeté qui plane sur le film. Il faut vraiment écouter ce que fait ce type génial et humble: https://saintsadrill.bandcamp.com/
Qu’est-ce qui vous intéressait dans le questionnement du rapport mère-fille ?
Je ne pense pas que ce soit au cœur du film. Mais Marie semble être installée dans un rapport de fusion qui est allé beaucoup trop loin, et qu’elle ne sait pas fuir. C’est quelque chose qui a été mille fois traité au cinéma, ce qui m’intéressait c’était plus la manière d’évoquer, par petites touches, ce contexte d’enfermement, de suggérer les raisons qui font que Marie n’a d’autre choix que d’aller voir ailleurs… coûte que coûte.
Marie Salope décrit un trajet fait des événements qui se déroulent et des choix pris par les personnages, comment avez-vous pensé ce chemin, est-ce plutôt une suite de hasards ou une prise en main de son avenir ?
Un peu des deux… Le film retrace le moment de basculement ou Marie décidé que rien ne l’arrêtera, mais elle rencontre Karim par hasard. À partir de là, le film développe sa propre logique, celle de la collision, comme s’ils ne pouvaient pas échapper l’un à l’autre, pour venir s’entrechoquer un peu plus fort à chaque fois qu’ils se retrouvent. L’univers étrange du film tient pas mal à ça. Au final, même si le contrat qui y est posé est celui d’une fiction où tout est permis, il me semble que ce qui l’emporte, c’est la volonté d’émancipation de Marie.
Dans Marie Salope, vous questionnez aussi l’affect et sa complexité, l’attachement, le détachement… Êtes-vous sensible à cette thématique ?
C’est une histoire d’amour entre deux êtres explosifs alors tout devient possible. Les envolées romantiques prennent le dessus sur ce que la raison préconise. Marie et Karim s’aiment, se détestent, se retrouvent, se quittent, alternent entre tendresse enfantine et violentes volées de bois vert. Il s’agit juste de vivre une vie qui ait le goût de la vie. Et c’est ce qui fait qu’ils nous sont proches, malgré leurs différences et leurs excès, ils ont juste envie d’aimer et d’être aimés.
Quels ont été vos coups de cœur au cinéma cette année ?
Rester vertical de Alain Guiraudie, Nocturama de Bertand Bonello et Elle de Paul Verhoven.
Pour voir Marie salope, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F11.