Breakfast avec Master of the Classe
Entretien avec Carine May, co-réalisatrice de Master of the Classe
Comment vous est venue l’idée d’écrire et réaliser un film autour d’un jeune professeur des écoles ?
Je suis professeur des écoles, j’ai enseigné environ 10 ans, et j’avais de la matière ! On avait vraiment très envie de parler des enseignants, pas comme on avait l’habitude de les voir, mais en les rendant plus humains, à savoir, avec leurs failles, surtout quand ils sont jetés dans une classe sans grande préparation, dans un contexte de naufrage de l’Education nationale. C’était aussi l’occasion de partager les coulisses d’un métier que tout le monde a côtoyé de près ou de loin !
Comment avez-vous pensé les élèves de la classe et pourquoi vouliez-vous donner à voir le multilinguisme de cette classe en particulier ?
Les classes d’UPEAA sont précieuses et en voie de disparition (elles coûteraient trop cher). Les enfants ont un an pour y apprendre les rudiments de français. Des enfants de pays différents s’y côtoient. L’exercice est donc périlleux pour l’enseignant et bien sûr, on y colle parfois les débutants… Il s’agissait donc de mettre notre personnage principal encore plus en difficulté afin qu’on puisse le plaindre un peu malgré ses côtés fragiles. Ensuite, bien sûr, c’est raconter aussi à travers ces enfants tous ces quartiers de brassage, ces exils vus à travers leurs yeux à eux.
Comment avez-vous travaillé avec les enfants ?
On a peu répété, en revanche nous avons tourné beaucoup de prises, surtout pour les scènes de ping-pong verbal qui vont vite. Sébastien Chassagne, qui interprète Berry, a vraiment joué le jeu, et la complicité s’est installée assez naturellement. La difficulté, c’est que ces enfants, français pour la plupart, parlaient très bien français donc. Ils avaient parfois du mal à trouver leurs mots (en Tamoul, Chinois…). Entre les prises, en off, on les entraînait donc à parler Tamoul. Une fois le moteur en marche, le maître leur disait : « pas en Tamoul, en français !!! » Compliqué, donc, entre la fiction et la réalité, de s’y retrouver pour certains !
Avez-vous fait des recherches concernant les écoles où sont envoyés les instituteurs vacataires ?
J’ai de nombreux amis anciens collègues, donc je suis bien renseignée. Et en Seine-Saint-Denis, c’est le lot de toutes les écoles !
Qu’est-ce qui vous intéressait dans les rapports compétitifs entre enseignants ?
Plus que le côté compétitif, je parlerais du côté individualiste de certains. La plupart travaillent dans des conditions difficiles, et certains sont usés de former les nouveaux, chaque année, à nouveau. L’ambiance « salle des maîtres » est pour nous un vivier d’anecdotes. Comme devant toute machine à café de n’importe quel bureau, en fait, avec tout de même un côté spécial : c’est le seul métier qui fait que certains n’ont jamais quitté les bancs de l’école !
Enfin, qu’est-ce qui vous intéressait dans le fait de travailler autour d’un anti-héros confronté aux difficultés de ce métier plutôt que de travailler autour d’un « héros » de pédagogie et d’implication personnelle confronté aux mêmes problèmes et pressions ?
Les films sur les héros de l’Education Nationale, il y en a eu plein. Les héros ne nous intéressent pas. Nos films précédents parlent souvent de losers ou de gens fragilisés qui se battent pour s’en sortir. C’est ce qui nous intéresse car ils évoquent les failles qu’on a tous, les hésitations, les fragilités… C’est l’humain. Or, ce métier semble intouchable : on s’occupe d’enfant, on a donc forcément la vocation. Pas du tout, ce n’est en tous cas plus le cas. Pas pour tous ! Alors ça nous amuse d’écorcher un personnage qui pratique ce métier… Du coup, c’est aussi parler de la société aujourd’hui, des conditions de travail dans les quartiers populaires, où l’école publique n’est pas la même que dans les beaux quartiers, clairement, et où chacun fait comme il peut.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Bien sûr, comme avec les autres. La liberté peut être de changer de registre avec la scène du commissariat. Celle aussi de prendre son temps pour poser les choses au début du film…
Si vous êtes déjà venus, racontez-nous une anecdote vécue au Festival de Clermont-Ferrand ? Sinon, qu’en attendez-vous ?
Je suis une adepte depuis mon adolescence, mes cousines étudiantes à Clermont m’y emmenaient. Depuis, on y va chaque année. C’est MON rendez-vous cinéma de l’année : je vais aux rencontres salle Chavignier, j’essaie de voir tous les Internationaux… C’est d’une richesse folle.
Pour voir Master of the Classe, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F4 et au débat au cinéma Le Rio le mardi 6 février à 14h.