Lunch avec Meninas Formicida (Filles fourmicides)
Entretien avec João Paulo Miranda Maria, réalisateur de Meninas Formicida (Filles fourmicides)
Qu’est-ce qui vous a donné l’idée de parler de l’extermination des fourmis ? Pourquoi avoir situé l’histoire au Brésil ?
L’idée m’est venue il y a environ sept ans, après avoir lu un article sur la situation catastrophique des adolescentes employées dans les réserves d’eucalyptus, qui manipulent au quotidien des substances hautement toxiques pour tuer les fourmis. On les appelait « meninas formicida ». J’ai été très touché et l’idée de faire un film sur le sujet ne m’a plus quitté… Mais plus récemment, dans mon pays, le Brésil, il y a eu une vague de viols sur des adolescentes, ce qui a débouché sur une augmentation des avortements clandestins. L’avortement est considéré comme un crime dans notre société et aux yeux des autorités, ces jeunes filles sont responsables, comme si elles étaient à l’origine de ces violences… Dans ma lutte contre cette société imprégnée de préjugés et de religion, j’ai très à cœur de faire passer un message à travers mon cinéma. Le film se passe au Brésil, plus précisément au village où je suis né et où je vis toujours à l’heure actuelle. Mes films précédents, La jeune fille qui dansait avec le diable (mention spéciale, Cannes 2016) et Command Action (Cannes 2015, Semaine de la Critique), proposent également une réflexion sur la société brésilienne dans laquelle je vis, et sur les problèmes que rencontre la nouvelle génération.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans cette période de la puberté ?
La puberté, oui, mais surtout la nouvelle jeunesse brésilienne. Pour moi, nous devons décider à quoi ressemblera le pays à l’avenir et il faut se battre sans cesse pour obtenir des changements, faire en sorte qu’il y ait chez les parents moins de préjugés, moins de fanatisme religieux, moins de misère, moins de corruption, moins de violence. On voit souvent le Brésil comme un pays qui fait la fête, mais au quotidien, on voit de plus en plus d’injustices et de violences. C’est surtout vrai pour l’intérieur du pays, où les mentalités sont plus réactionnaires. Je fais des films qui parlent de cette société, j’appelle ce style le « cinéma caipira » – il montre des gens qui ont une vie simple et gardent leurs émotions à l’intérieur, comme des rochers capables de subir toutes les pressions de la société.
Où sont les hommes dans Meninas Formicida ?
Dans la réalité, les exploitants forestiers emploient des jeunes filles pour travailler (au noir) dans les réserves d’eucalyptus, car ils pensent que les filles ont plus de « patience » que les garçons pour chercher les fourmilières et qu’elles ont les doigts plus fins pour y insérer le poison. Ils font faire ce travail car les fourmis attaquent le bois d’eucalyptus… De mon côté, j’ai travaillé sur la perception des hommes dans le film, surtout le violeur présumé de la jeune fille (dont on ne voit jamais le visage, même quand il apparaît en gros plan, nous ne pouvons pas l’identifier ou le regarder en face). J’ai voulu ainsi montrer une société très masculine aux valeurs rétrogrades. La photo de Nicki Minaj sur son blouson nous donne une idée de sa vision des femmes.
Dans quelle mesure vous intéressez-vous aussi au thème de la pauvreté ?
Avant la pauvreté, je pense à la misère, non seulement le manque d’argent mais l’absence d’éducation, de famille, de sécurité, de culture et d’espoir. Mon interrogation porte sur des personnages qui n’en peuvent plus et cherchent à s’extraire pour de bon de leur environnement quotidien… Dans Meninas Formicida, la jeune fille doit accepter son rôle de victime, car elle doit assumer une grossesse prématurée ou devenir une « criminelle » aux yeux de la société. Aucun de ces choix n’est facile, et elle doit agir radicalement pour briser ce cercle vicieux. Elle ne veut pas seulement se faire entendre, elle veut faire bouger les choses concrètement.
Meninas Formicida est-il un projet à part entière ou une partie d’une histoire plus longue ?
Si vous voulez dire que le film s’intègre dans un vaste débat sur la condition des femmes dans la société brésilienne, alors oui, bien sûr ! Mais dans le sens où j’envisagerais une suite ou un film plus long, non… J’ai toujours pensé Meninas Formicida comme un court métrage.
Est-ce que vous vous intéressez aux relations entre ados ? Envisagez-vous d’autres projets sur ce thème ?
Quand je pense aux jeunes, je pense à l’avenir de mon pays. J’ai d’autres idées de personnages adolescents, mais pour l’instant je travaille sur mon premier long métrage, Memory House, également coproduit avec la France – il s’agit d’un scénario issu de ma résidence Cinéfondation à Paris début 2017. Le tournage est prévu pour cette année, au Brésil, et je vais passer à l’extrême inverse en parlant d’une personne âgée, un vieil homme noir qui, ne voyant pas d’avenir, se réfugie dans ses racines ancestrales…
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Pour moi, le court métrage incarne la liberté ! Il permet de faire des expériences et de proposer des choses qui sortent de l’ordinaire, de se découvrir soi-même, de montrer au monde comment on aborde tel ou tel sujet. Il offre la possibilité de chercher les meilleur vecteurs artistiques pour dire le maximum de choses en un minimum de temps, sans être bridé par les contraintes du marché.
Si vous êtes déjà venu, pouvez-vous nous raconter une anecdote vécue au festival de Clermont-Ferrand ? Sinon, qu’en attendez-vous ?
Ce serait mon premier festival à Clermont, mais malheureusement, je n’ai pas encore trouvé de financements pour ce long voyage. J’attends une réponse du gouvernement brésilien, mais pour l’instant, j’ignore si je pourrai venir. Ce serait pourtant un rêve qui se réaliserait !
Meninas Formicida a été projeté en avant-première mondiale au 74e festival de cinéma de Venise, en compétition. C’est une coproduction franco-brésilienne soutenue par le CNC et Arte. Le producteur français est la société « Les Valseurs ». C’était la première fois que je faisais un film avec un budget digne de ce nom, grâce aux financements français ! Mes films précédents avaient des budgets d’à peine une centaine d’euros chacun…
Pour voir Meninas Formicida, rendez-vous aux séances de la compétition Labo L5.