Dîner avec Miss Chazelles
Interview de Thomas Vernay, réalisateur de Miss Chazelles
Que pouvez-vous nous dire sur la genèse de Miss Chazelles ?
C’est toujours très difficile pour moi de répondre à cette question. Il y a tellement de raisons à l’origine d’un film… La plus pertinente, je pense, a été l’urgence de filmer dans mon village d’enfance. Ce n’est pas le lieu où j’ai forcément de bons souvenirs, et je n’y suis quasiment jamais retourné depuis mes 18 ans. Je voulais confronter les souvenirs de mon enfance à la personne que je suis devenu. Un jour, j’ai lu un fait divers sur une « guerre » entre deux miss dans un village du Sud. Cela a été le déclencheur. L’autre raison était que je voulais écrire un rôle pour Megan, j’avais très envie de tourner une fiction avec elle.
Il semble que le film représente des comportements très genrés (aux filles les concours de beauté, aux garçons la violence) pour finalement, sans rien dévoiler de l’intrigue, déjouer ces stéréotypes. Est-ce comme cela que vous pensez le scénario ?
Oui bien sûr. Le film joue sur des stéréotypes, des caricatures. Même si tout est très proche de la réalité. J’ai écrit le film en injectant des références aux contes de princesse, en particulier ceux adaptés par les Disney, la plupart très sexistes. Les motos évoquant les destriers, les deux familles rivales, l’épée, l’étendard, la salle des fêtes qui représente le bal, les « méchants » jumeaux, le père qui est le dragon, la robe de princesse, etc. Puis, on essaie de s’éloigner de tout ça, de renverser les codes. Il s’agit d’un film sur la condition sociale et sentimentale, dominée par les hommes. Clara est entourée d’hommes qui l’orientent constamment, qui l’empêchent de s’émanciper. À chaque tentative, elle retourne à sa condition.
Comment avez-vous travaillé avec les deux actrices principales ?
J’avais déjà travaillé avec Megan sur deux précédents clips. Et j’avais très envie de travailler avec elle en fiction. Pour Alice, j’ai eu un coup de cœur au casting. Je ne voyais pas forcément le personnage de Marie comme ça, mais j’ai finalement adapté Marie à Alice. Le personnage est devenu plus doux, plus introverti. C’est un peu pareil pour Megan finalement. Je suppose que le personnage possède énormément de son âme. Pour le travail, ce fut assez habituel. On s’est vus pour des répétitions, afin de bien définir le ton et le naturel des dialogues. Sur le tournage, on répétait à nouveau avant les séquences. On a fait en sorte qu’elles s’approprient les mouvements, les temps et certaines répliques. Je trouve qu’elles fonctionnent à merveille toutes les deux.
Quelles sont vos œuvres de référence ?
Je ne prends pas de risque étant donné la filmographie, mais j’adore tous les films d’Andrea Arnolds. J’aime ses personnages, sa direction d’acteurs et actrices. J’aime son cadre, ses couleurs, ses dialogues. Ses films sont pleins d’ardeur. Kelly Reichardt m’inspire beaucoup également. La dernière piste est l’un des plus beaux films d’époque. Ses personnages féminins sont puissants, ses films ont quelque chose de viscéral. Puis bien sûr Jane Campion. Ce n’est pas très original, mais La leçon de piano est un des plus beaux films qu’il m’ait été donné de voir. Top of the Lake reste ma série préférée. Mais je triche, parce que je ne suis pas très série…
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées ?
Pouvoir le faire déjà. C’est un format accessible. Il permet de minimiser les coûts, de tourner rapidement. Je l’ai produit seul (via ma boite de production) sans aucune aide pour le budget. Ce n’est pas forcément un truc que je conseille, c’était dur. Mais c’était un geste fait dans l’urgence, un geste nécessaire. J’ai été libre du début à la fin sur ce projet. Il est aussi le résultat de toute une équipe formidable avec qui j’aimerais pouvoir retravailler un jour. Chaque personne impliquée dans ce projet, sans exception, a été d’une grande aide, et il y a une part de chacun dans ce film.
Pour voir Miss Chazelles, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F8.