Dîner avec Moi votre ami
Interview de Camille Polet, réalisatrice de Moi votre ami
Comment vous est venue l’idée de cet homme d’âge mûr qui veut devenir comédien ?
C’est qu’avant tout, l’homme d’âge mûr, c’est mon père ! Et ce qui m’intéressait c’était de filmer un évènement réel, déjà arrivé, de le réécrire et de remettre en scène et en fiction. Il ne veut pas devenir comédien, il l’est mais c’est le chômage et la difficulté de n’avoir pas réellement de statut social à un âge comme le sien. C’est cette précarité sociale et personnelle qui me touchait dans cette histoire. Comment on peut parfois avoir l’impression de n’être rien socialement, ou de n’être arrivé nulle part en termes de réussite normée.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vos comédiens ?
Mon père, Philippe Polet, a fait le TNS. Acteur de théâtre, il a beaucoup travaillé et a aussi, comme dans le film, traversé une période creuse. Magne Havard Brekke est un acteur que j’ai rencontré sur un tournage où j’étais actrice, et le rencontrer me l’a fait aimer encore plus que je ne l’aimais déjà. Cette rencontre a débloqué l’écriture du film. En effet, tous les rôles ont été écrits pour les acteurs, je n’ai pas fait de castings, ou d’essais, je savais qui devait jouer et cela n’a jamais été remis en question. De même, je voulais que mon frère, Félix, qui n’est pas acteur, joue le fils. Cette réunion familiale me semblait inenvisageable autrement et c’était un moment fort de voir mon père et mon frère jouer ensemble.
À quel point êtes-vous intéressée par la thématique de la cellule familiale et envisagez-vous de réaliser d’autres films sur ce sujet ?
Je n’envisage pas spécialement d’autres films là-dessus, en tous cas pour l’instant. Mais je suis très intéressée par la thématique du groupe (mon premier film s’appelait Gang), ou de la famille au sens plus large que celui de la famille réelle. Plutôt de ce que c’est de se tenir ensemble face au monde, face au réel et face à la dureté du monde ! C’est cette thématique d’être un groupe, qu’il soit familial, amical, politique… Et d’ailleurs, il peut être aussi tout à la fois !
Comment avez-vous travaillé les effets de pénombre ?
Nous avons tourné avec une caméra DV, et elle donnait un bel effet de grain et qui n’était bien sûr pas très sensible aux basses lumières. L’idée était de travailler des clairs obscurs, comme des tableaux du nord. Je voulais que nous arrivions à ce sentiment de l’hiver où le soir tombe vite dehors et que les lumières intérieures sont allumées, chaudes. Mais surtout, cette lumière de 17h où il fait déjà nuit, mais une nuit grise.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans le rapport aux regrets et à la mélancolie ?
Tout d’abord, le regret et la mélancolie sont selon moi des affects très différents. La mélancolie est un regard posé sur le monde, un regard un peu distancié, qui ne dramatise pas, mais qui a une distance un peu triste, car dans le passé ou le futur ou les implications du présent dans ce passé ou ce futur. Ce regard, j’ai du mal à m’en départir, j’imagine que mes yeux sont un peu conditionnés comme ça. Et la grammaire de la mélancolie m’intéresse et j’ai envie de lui trouver des formes, en continuant à creuser ce sillon. Un sillon qui serait sec et sans effusions mais avec une pesanteur. Comme une vieille photo d’une plage du nord l’hiver, prise à l’appareil jetable, ou un mot un peu déchiré, c’est à dire des émotions sorties d’un lieu quotidien dans la douceur et une violence aussi. Le rapport au regret est pour moi plutôt lié à l’histoire et au fait que le personnage que je filmais était traversé par ces affects.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apporté en particulier ?
Le format court permet de prendre des temps, en dehors de l’histoire et de la narration. Le format court permet de raconter un geste ou une variation d’humeur et d’assécher un maximum le récit, afin de le démembrer de nécessité de pure efficacité. J’aime les récits secs, au minimum et avec des moments qui recréent un sentiment sans forcément faire avancer l’histoire. Le format court permet cela.
Pour voir Moi votre ami a été sélectionné en compétition nationale (F11).