Goûter avec Mon bras armé
Entretien avec Mathilde Nègre, réalisatrice de Mon bras armé
Pourquoi avoir choisi de réaliser Mon bras armé en animation, plutôt que d’utilser des images avec des acteurs ?
J’ai imaginé le scénario de Mon bras armé en même temps que je fabriquais les dessins. Le film s’est écrit en sélectionnant et en montant les plans animés, dans un premier temps, et plusieurs mois après, en fabricant la bande sonore et les dialogues. Ce qui était bien avec les personnages animés, c’était de ne pas avoir à expliquer ni à prévoir les séquences. J’ai pu travailler seule et prendre le temps que je voulais. Sans savoir exactement ce que j’allais faire. Et j’ai pu représenter des personnes nues sans me demander, est-ce que les comédiens souffrent ?
Mon bras armé pose la question du choix et de la responsabilité. En effet, on fait souvent des choix par instinct, sans réfléchir, en particulier dans le feu d’une action. Pourquoi avez-vous choisi de parler du choix ?
Il n’y a pas de liberté de choix sans conscience.
Mais il y a une tension entre notre conscience individuelle et notre capacité d’action, notre capacité à changer la société.
Beaucoup de gens aujourd’hui sont déprimés parce qu’ils se sentent impuissants. Par dessus les problèmes sociaux, il y a la tragédie écologique, qui est terriblement déprimante.
La révolte individuelle et collective est nécessaire. Nous sommes responsables si nous acceptons l’injustice. Les artistes doivent participer à la culture de la révolte, dans tous les domaines.
Mon bras armé évoque la Police Nationale. Avez-vous travaillé dans la police ou auprès de policiers, par exemple dans un syndicat ou sur une étude recueillant des témoignages de policiers, pendant la réalisation du film ?
Mon bras armé est un film d’animation d’environ 4 minutes, à la limite du clip musical. Je me suis inspirée de mes expériences avec la police et de mes lectures ; ce film n’est pas celui d’une journaliste ou d’une sociologue ; et je n’ai pas travaillé pour la police.
Partant du fait : la police est le bras armé de l’état ; j’avais envie de poser cette question : jusqu’à quel point les policiers peuvent accepter d’être les instruments de la violence d’état ? Jusqu’à quel point les policiers sont des êtres humains comme les autres ?
Si la fonction du gardien de prison s’exerce après l’énonciation d’une décision de Loi et celle du soldat après le lancement d’une Opération Militaire, la fonction du policier s’exerce avant toute prise de décision par un tiers identifiable. D’après vous, qui porte alors la responsabilité des actes entrepris ?
Le policier a une hiérarchie au dessus de lui. Il y a des lois, des règles qui encadrent son travail. Qui définissent dans quels cas il a le droit de contrôler telle ou telle personne, de la mettre en garde à vue ou de la tuer. C’est l’état qui commandite et légitime, dans un certain cadre, la violence des policiers.
Quand des policiers outrepassent ce cadre légitimé d’emploi de la violence, par exemple s’ils frappent à mort une personne menottée, leur violence est illégale.
L’état, au travers de l’IGPN et au travers des juges, est encore responsable s’il ne fait pas toute la lumière sur les affaires, s’il ne rend pas justice aux victimes des bavures policières, s’il ne reconnait et condamne les crimes de certains de ses agents, s’il ne leur retire pas son autorité.
Mais il faut bien comprendre que la violence est intrinsèque à l’appareil policier. Par exemple, les conditions déplorables de détention en garde à vue : les cellules glaciales en hiver, immondes et insalubres. Il faut réclamer pour avoir un verre d’eau, pour aller aux toilettes. Pas d’hygiène, pas d’intimité. Maintenant en garde à vue on vous demande vos empreintes et votre ADN, et si vous refusez, le procureur lance une procédure supplémentaire contre vous. Ces violences, ces humiliations qui sont faites aux gardés à vue, elles sont préméditées. Le fait de ne pas mettre de système de chauffage dans les cellules par exemple… Même l’architecture du commissariat est violente.
Je crois que certains policiers sont affectés par les conditions de garde à vue. Les autres ça les conforte dans l’idée qu’il faut punir les gens, qu’un détenu mérite d’être humilié.
Que pensez-vous des cas, dans les manifestations publiques, où les policiers se font passer pour des casseurs pour permettre le lancement d’une intervention interrompant la manifestation ?
Le mouvement social n’a pas besoin d’agents provocateurs de la police pour qu’il y ait des casseurs. C’est une stratégie politique de certains militants. Et les forces de police n’ont pas besoin de prétexte pour interrompre une manifestation.
Comment avez-vous travaillé la voix off et l’animation sonore du film ?
Le bande sonore a été réalisée avec des bruits d’ambiance et de la musique électronique. La voix a été robotisée.
Mon bras armé a été produit en France. Selon vous, dans le court métrage, qu’est-ce que la production française apporte que les autres n’ont pas ?
Ce film a été réalisé en autoproduction, alors c’est une autoproduction française. On a la chance en France d’avoir accès à des caméras et à des ordinateurs même quand on n’a pas trop d’argent, de pouvoir bricoler. Il faut en profiter, même si c’est dur de faire des films hors du cadre professionnel, parce qu’on est isolé, et qu’on ne gagne pas d’argent, on dépense de l’argent en faisant des films. Ça peut être fatigant.
Pour voir Mon bras armé, rendez-vous aux séances de la Compétition Nationale F5.