Lunch avec My eyes are gone
Entretien avec Laura Haby, réalisatrice de My eyes are gone (Je n’ai plus les yeux)
Comment vous est venue l’inspiration pour My eyes are gone ?
Ce film est inspiré d’une rencontre avec une personne singulière ayant un discours particulier au sujet de la mort. C’est la fin d’un processus entamé en 2013 avec En apnée, un court documentaire qui faisait déjà entendre son propos : le besoin d’appropriation narcissique et esthétique de la mort. Une manière illusoire de l’apprivoiser pour ne plus en avoir peur. Dans mon esprit, il s’agissait d’animer un monologue, qu’un film s’achemine à partir des mots, de la parole.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans le monologue de cet homme et de sa douleur ?
Plutôt que sa douleur, c’est sa quête d’éternité qui m’intéressait. Il y a dans le monologue du personnage une envie de rupture avec le monde, une souffrance, mais c’est surtout quelqu’un qui n’arrive pas à mourir.
Le rapport à la mémoire est-il particulièrement important pour vous dans ce film ?
C’est plutôt le souvenir individuel dans les petits détails de ce qu’on espère vivre et ne pas vivre qui m’intéressait.
Que vous évoquait la question des cicatrices et de la reconstruction ? Peut-on parler de renaissance ?
Le thème du corps accidenté et malade est souvent amené et les descriptions qu’il en fait sont assez brutales. Il y a une obsession du corps chez le personnage, du corps « miraculé ». Et paradoxalement, « un désir de revenir à la mort dont il s’est réveillé ».
Que pensez-vous de la question de la disparition du personnage : mort ou départ ?
La question de la mort ou du départ peut rester ouverte. Dans la mise en forme du film, il y a un jeu entre apparition et disparition. Dans les limbes, lorsque la caméra balaye le papier peint de l’appartement-labyrinthe, on accède à une sorte de vacuité du regard. Cette vacuité crée l’écoute. Lorsqu’on revient à lui, à sa présence terrestre, on se retrouve face au vivant, à un corps qui vit.
Après une première incursion dans le monde médical et douloureux de Félix, vous partez dans une deuxième incursion autour de Marie. Cette séquence m’a fait l’effet d’une plongée, comment avez-vous travaillé la lumière, les ombres, le corps de Félix ?
Dans la nuit dans laquelle se passe le film, le lieu est révélé par les lueurs et par les ombres. La caméra circule, l’idée de la mort circule jusqu’à la fin dans une plongée abyssale, le corps se heurte sur le camion puis sur le mur, elle enserre le personnage. Le personnage est en vie au moment où il parle, il fait des abdominaux, il se maintient en forme. Ce qui m’intéressait, c’est que ce rendez-vous avec la mort peut aussi s’entendre comme un rendez-vous amoureux.
Dans la troisième partie du film, vous abordez le questionnement quant à sa propre mort, qu’est-ce qui vous intéressait dans cet aspect du monologue ?
Le film est composé de trois parties, trois mouvements, qui correspondent à trois moments du monologue : l’accident, l’amour de Marie et la mort. Cette troisième partie est le moment où la caméra s’arrête de tourner. Le mouvement s’arrête. C’est le moment où le personnage met en jeu toutes ses personnalités, tous les « je ». Il veut jusqu’au bout avoir l’image qu’il va avoir de lui-même et qu’il va donner aux autres. Et en même temps, il y a là-dedans quelque chose de vain lorsqu’on l’entend lister ce qui va lui arriver : si c’est une balle dans la tête ou dans le cœur, un étouffement ou une chute de cinq étages. Il y a un désir chez lui de maîtriser jusqu’au bout cela pour au fond ne garder que quelque chose qui appartient à l’espèce humaine ; une dignité, une élégance. J’imagine que le film propose une réflexion sur le fait qu’il y a quelque chose qui devrait être inscrit : le droit de disposer de sa propre mort.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Certainement qu’avec toute la matière sonore que j’avais, un film d’une heure aurait été insoutenable pour le public. Le format court métrage permet de maintenir l’attention de l’audience et invite à réfléchir sur la capacité d’écoute, la capacité de tenir devant une parole pareille. Il permet aussi au film une liberté formelle avec de longs panoramiques circulaires.
Pour voir My eyes are gone, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F9.