Goûter avec Nittonhundraåttioett (1981)
Entretien avec Dawid Ullgren, réalisateur de Nittonhundraåttioett (1981)
Pourquoi 1981 ? Que signifie cette date ?
L’année 1981 est une période intéressante pour la communauté homosexuelle en Suède. C’était une sorte de période charnière où les choses ont commencé à aller un peu mieux. En 1979, le conseil national de la Santé a invalidé la classification de l’homosexualité parmi les maladies mentales, et le premier décès lié au Sida a eu lieu en 1982. Ainsi, 1981 était une période où l’avenir semblait radieux. J’ai voulu placer ce récit en 1981 afin de montrer une période de l’histoire où les personnages pouvaient se sentir libres tout en étant encore obligés de vivre dans l’ombre.
Pouvez-vous nous parler de votre utilisation du style cinématographique pour recréer l’époque ?
Je voulais créer un environnement qui soit crédible, mais sans exagération. Point trop n’en faut est devenu le mantra de notre démarche. J’ai été très influencé par le documentaire Paris is Burning – se contenter de surprendre le moment présent. En se lançant dans le projet, on n’avait pas dans à l’esprit de faire un film d’époque. On voulait que le film soit aussi moderne que possible, tout en donnant l’impression d’un film des années 1980.
Que souhaitiez-vous montrer en dévoilant ce qui arrive dans ce sauna ?
Ce film parle du regard masculin et des dégâts qu’il peut engendrer quand on lui laisse libre cours. La culture du sauna est un lieu très fair-play où les limites sont très importantes dans l’interaction. C’est un lieu où règne l’anonymat. Je voulais donc montrer ce qui arrive lorsqu’une personne entre dans ce lieu sans en connaître les règles. Que devient-on quand on n’est pas obligé d’être soi-même pour un instant ? Le personnage principal n’est pas foncièrement mauvais, jusqu’au moment où il affronte une situation nouvelle dont il ne connaît pas les règles. Le film parle aussi du couple. Je voulais montrer le besoin narcissique dans un couple. Comment deux « moi » peuvent-ils coexister dans un « nous », par exemple ? Les sentiments, comme l’amour et la sexualité, sont en constante évolution. On n’arrête pas d’avoir des désirs, mais il peut s’avérer difficile de les assouvir au sein d’un couple. Je trouve intéressant l’idée qu’on peut vivre avec une personne sans lui faire suffisamment confiance pour la faire participer à ses fantasmes. Les personnages cherchent un moyen de réaliser leurs désirs, mais en même temps, ils ne veulent rien changer à leurs habitudes. Parfois, il vaut mieux s’abstenir de réveiller les désirs enfouis.
Vous êtes-vous inspiré de rencontres ou de personnes en particulier ?
C’est un film très personnel et j’ai voulu me poser la question de ce que cela signifie d’être un homme. Lors de mes recherches pour le film, je suis tombé sur un forum où l’on discutait des règles dans un club de sauna. Certains pensaient que lorsqu’on va au sauna, tout est permis. On oublie le mot « non » dès qu’on en franchit le seuil. Je ne comprends pas cette vision des choses, et c’est souvent ainsi que commence chez moi le processus créatif : un désir de comprendre les choses avec lesquelles je ne suis pas d’accord. Le club de sauna est un club comme les autres, sur certains aspects – des gens qui s’agglutinent dans un espace confiné et qui tentent de tisser des liens. Ainsi, toutes les rencontres où je ne me suis pas senti écouté, où j’ai trouvé qu’on ne respectait pas les barrières de mon corps, m’ont énormément aidé à faire ce film.
Diriez-vous que le format court vous a donné une certaine liberté ?
J’adore le court métrage, et j’adore travailler dans ce format. Pour moi, c’est comme une cour de récréation où l’on peut expérimenter des idées de thèmes qui ne fonctionneraient peut-être pas dans un format plus long. J’aime faire des courts métrages qui emmènent le spectateur vers de nouveaux lieux, de nouvelles expériences. Qui ouvrent des portes que l’on croyait fermées. Pour moi, c’est ce qu’il y a de plus important dans le métier de cinéaste : mettre sous les projecteurs des gens et des lieux qui ne s’y attendent pas. Voilà la porte que le court métrage peut m’ouvrir.
Pour voir Nittonhundraåttioett (1981), rendez-vous aux séances du programme I4 de la compétition internationale.