Lunch avec Oh Oh Chéri
Interview de Lola Roqueplo, réalisatrice de Oh Oh Chéri
Pourquoi cette référence à Françoise Hardy ?
J’ai donné ce titre au film, en référence à la chanson de Françoise Hardy du même nom, d’abord bêtement parce que j’avais une attirance un peu plastique avec la sonorité des mots.
Ensuite ce que je me racontais de la chanson, c’était l’histoire d’une nana qui aime un type un peu minable : « tu peux danser même en pyjama, et lorsque tu passes tes nerfs sur moi… », qui projette toutes ses attentes sur quelque chose qui n’existe pas. Je pense qu’en réalité, le scénario du film est beaucoup lié à ce que j’imaginais en écoutant ce morceau.
Mais, plus globalement, la plupart des musiques, ainsi que les costumes et couleurs, faisaient référence aux Yéyés. C’est une période qui m’inspire beaucoup – j’écris une série TV dessus d’ailleurs ! – parce qu’elle convoque un imaginaire pop sucré : c’est le moment où la jeunesse est devenue reine, mais intervient durant une période sombre sur fond de guerre d’Algérie. C’est ce que je tente de faire avec Oh Oh Chéri : un bonbon doux-amer.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans la tranche d’âge de votre personnage ?
J’en avais assez de voir au cinéma des filles fragiles, évanescentes et fantasmées. Comme si les femmes n’étaient pas de vrais êtres humains mais des déesses. Ce que je voulais voir, c’était des filles comme mes copines : parfois maladroites, pas toujours bien dans leurs corps et quand elles se masturbent sous la douche ça ne ressemble pas à une pub pour gel douche. Du coup les personnages ont l’âge de mes copines.
Son autonomie adulte est-elle un nouvel acquis ou l’avez-vous plutôt imaginée comme une liberté « avant l’heure » ?
Concernant l’indépendance d’Eva, je voulais parler d’un personnage qui était déterminé par une espèce d’éducation moderne non interventionniste. Dont je suis moi-même le résultat. (Décidément, ma mère ne va pas aimer cette interview !) La mère d’Eva la laisse libre de tout faire. Elle lui parle de sa vie sentimentale, et attend pratiquement d’Eva le soutient d’une copine. Je pense qu’en fait la mère d’Eva a une vie plus palpitante qu’Eva ! Mais du coup, elle est maman quand ça lui chante. C’est pour cette raison qu’Eva a autant besoin de l’affection de John et des garçons ainsi que de la fermeté quasi autoritaire de sa meilleure pote Marion. Il y a aussi des bons côtés : Eva est clairement libre de ses choix sentimentaux et sexuels, et on imagine qu’au quotidien sa relation avec sa mère est finalement assez amusante.
Comment avez-vous pensé la place de l’impulsivité et du dynamisme de l’enfance ?
Au risque de paraître naïve, c’était la première fois que je réalisais un film. J’étais donc moi-même une enfant impulsive. Tout le rythme de la mise en scène découle d’un élan presque avide de prendre la caméra et filmer.
Qu’est-ce qui vous amusait dans le rapport à l’électronique, les SMS, les émoticônes, les plans animés, l’utilisation de la technologie comme un guide, le fait de placer le film dans une époque en particulier… ?
À mon avis les ordinateurs, téléphones portables et autres posent des questions très importantes pour mettre en scène un récit contemporain : comment ne pas briser le rythme par un insert ? Comment faire pour que le film n’ait pas l’air obsolète dans quelques années ? Est-ce que l’on peut faire passer des intentions qui dépassent les seuls échanges d’informations ? Et en même temps cela ouvre un champ de possibles et d’essais encore quasi inexploré. Je ne sais pas si je suis allée si loin que ça mais j’avais envie de m’y frotter car le film s’y prêtait.
Pourquoi avez-vous choisi de décrire un rapport mère-filles ? Et qu’est-ce qui vous intéressait aussi dans l’absence du père ?
Alors en fait, à la base, je voulais faire une attaque directe et régler mes comptes avec ma propre mère à l’écran. Malheureusement elle n’a pas trop compris qu’il s’agissait d’elle, donc j’ai décidé de donner son nom au personnage de la mère dans mon prochain film. Non, je plaisante. Ou peut-être pas ? Plus sérieusement, cela m’intéressait que le personnage d’Eva ne soit entouré que de femmes et que les seuls hommes qui croisent sa route lui causent du malheur. Je pense que l’absence du père me permettait de mieux me focaliser sur la relation avec la mère. J’aime que ce soit une relation d’une extrême familiarité et que cette même familiarité amène parfois de la cruauté, d’un côté comme de l’autre.
Quels ont été vos coups de cœur au cinéma cette année ?
Baden Baden de Rachel Lang et Toni Erdmann de Maren Ade ! C’est drôle car ils ont tous les deux la même énergie.
Si vous êtes déjà venue, racontez-nous une anecdote vécue au Festival de Clermont-Ferrand ? Sinon, qu’en attendez-vous ?
C’est une première à Clermont-Ferrand pour moi : j’ai très hâte. En plus je viens d’apprendre que Nine Antico est dans le jury Labo et j’adore ses BDs. J’espère qu’elle pourra dédicacer un de ses album pour moi !
Pour voir Oh Oh Chéri, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F2.