Breakfast avec Our Song to War (Notre chant à la guerre)
Entretien avec Juanita Onzaga, réalisatrice de Our Song to War (Notre chant à la guerre)
Où est situé le film ? Comment avez-vous choisi vos personnages ?
Le film se passe au village de Bellavista, sur la municipalité de Bojayá dans le département de Chocó, en Colombie. C’est un endroit très spécial, un de mes préférés sur cette terre. C’est le berceau de la culture afro-colombienne, imprégnée de traditions et de rituels venus d’Afrique qui se sont mélangés à d’autres, créant une culture mixte d’origine africaine mais qui existe en Colombie depuis des centaines d’années, dans cette zone assez isolée de la jungle. J’ai pensé le film comme un poème sur la possibilité d’un avenir qui ne soit pas une guerre permanente, j’ai donc voulu travailler avec des enfants à l’aube de l’adolescence. Ils représentent la nouvelle génération qui évoque le conflit qui a déchiré notre pays, mais il y a une certaine gaité dans leur façon de parler de la mort, des rites, de leur quotidien et de leurs morts. À 12 ou 13 ans, ils ont encore une imagination débordante et une certaine innocence dans leur façon d’être, mais ils comprennent aussi de plus en plus de choses sur le monde qui les entoure.
Vous intéressiez-vous aux croyances de cette communauté dès le début de votre projet de tournage ? Avez-vous d’autres projets autour de ce thème ?
Ce qui m’a attirée dans cet endroit, c’est tout ce qu’il y a de mystique dans la façon dont les habitants affrontent une épreuve aussi tragique qu’un massacre. Leurs croyances, leurs rites, voilà ce qui nous a poussés à faire ce film. Au cours de mes recherches en amont du tournage, j’ai compris qu’ils avaient une relation très spéciale avec la mort à travers le rituel Novenario, au cours duquel, en chantant l’Alabaos, ils permettent aux vivants et aux morts de trouver la paix. J’y ai trouvé une dimension symbolique à notre époque où le pardon et l’empathie semblent si difficiles. Pour moi, ils montraient comment pardonner et continuer à vivre en aspirant à une vie différente, malgré les épreuves du passé. Leur ténacité en tant que communauté provient de leurs croyances et de leurs rituels. Voilà pourquoi je voulais me rendre là-bas et en savoir plus sur le pouvoir guérisseur de la musique et des histoires de tradition orale. Mes projets à venir abordent les liens mystérieux entre le monde de l’invisible à l’intérieur du monde visible, ainsi que les mondes imaginaires des récits de tradition orale, dans mon prochain court métrage et mon premier long métrage, Los paisajes que buscas (Les paysages que tu cherches).
À quel moment avez-vous décidé d’aborder le thème de la mort et des esprits ?
Parfois, il y a des choses qui nous obsèdent. Je suis obsédée par les possibilités, les croyances et l’imaginaire autour de l’idée qu’il y a autre chose que la surface physique du monde. C’est quelque chose qui me fascine depuis mon plus jeune âge. Quand j’étais petite, on me racontait des histoires de créatures, d’esprits, de fantômes et de choses qui existent mais ne se voient pas. Écrire de la poésie et faire du cinéma m’a permis d’aborder les questions du sens de la vie à travers le sens de la mort, comme c’était le cas dans mon court métrage précédent, The Jungle Knows you Better than you Do. Penser à la mort donne de la valeur à la vie, et notre société considère la mort comme un tabou alors que c’est, dans un sens, la seule certitude que nous avons. Dès que j’ai commencé à réfléchir sur la vie après la mort et le lien invisible entre l’univers visible et l’univers invisible, c’est tout un monde d’interrogations et de mystères qui s’est ouvert à moi. Voilà ce que je recherche en premier à travers mes films, une manière d’explorer et de partager les grandes questions que je me pose, en allant à la rencontre d’histoires et de personnages qui reflètent différentes façons de percevoir la réalité. Ce n’est pas parce qu’une chose est invisible qu’elle n’existe pas.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans la relation avec la rivière ?
La rivière est ce qui rattache cette communauté au reste du monde. C’est la seule façon de se rendre au village. Tout ce que savent les gens vient de la rivière. La nourriture, mais aussi la guerre, les bonnes et les mauvaises nouvelles, car le village est isolé en pleine jungle. Et comme la rivière est leur seul lien avec le monde, elle devient aussi leur lien avec d’autres mondes, avec ce qu’il y a avant et après la vie. C’est aussi la rivière qui amène le spectateur jusqu’à ce village, comme si la caméra était un esprit qui arrive dans la jungle en flottant sur l’eau. Et c’est grâce aux chants rituels des villageois et à leur travail de mémoire que les âmes peuvent rejoindre l’au-delà, en empruntant la rivière à leur tour. Ainsi, un cycle est créé. Dans le film, nous observons une parenthèse entre la vie et la mort, entre la vie et l’au-delà, et la rivière symbolise ce cycle. Pour moi, la rivière est le symbole de leur ténacité et de leur capacité à lâcher prise (car l’eau d’une rivière n’est jamais la même), mais l’eau est aussi un élément magique qui permet de réfléchir sur nos émotions. Une réflexion sur le passé, sur nos morts, sur le sens de ce qui nous entoure. Cette réflexion sur la réalité apporte à l’univers du film une touche de « réalisme magique » qui fait que notre expérience dépasse ce que nous voyons au premier abord.
Diriez-vous que le format court vous a donné une certaine liberté ?
Tout à fait. Chaque film suit des règles qui lui sont propres, et ce film est devenu un court métrage parce qu’il l’exigeait. La forme courte nous a permis de jouer avec le fait qu’au lieu de tourner autour d’un seul personnage, l’histoire est plutôt une expérience de conscience collective de la vie de ce village et de la vision qu’ont les habitants sur la vie et la mort. Je ne pense pas qu’un format plus long nous aurait autorisés à passer allègrement d’une histoire à l’autre, car il s’agissait plutôt de dissimuler le mystère qui rôde dans le village que d’expliquer les faits en donnant trop d’explications. Le format court a permis au film de rester au plus près de son sujet tout en gardant une certaine légèreté.
Pour voir Our Song to War (Notre chant à la guerre), rendez-vous aux séances du programme L5 de la compétition Labo.