Dernier verre avec Pauline asservie
Entretien avec Charline Bourgeois-Tacquet, réalisatrice de Pauline asservie
Vous avez mentionné Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes comme étant à l’origine du film. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet ?
J’avais envie depuis longtemps de faire quelque chose à partir de ce texte que je trouve d’une grande intelligence et d’une grande justesse sur l’amour et la manière que nous avons de vivre l’amour, dans toutes ses phases, et notamment les plus douloureuses. À la suite d’une histoire d’amour “à sens unique“, j’ai relu les Fragments, et je me suis dit qu’il était temps que j’écrive un film sur l’aliénation amoureuse. J’ai structuré le scénario de Pauline asservie à la fois à partir de mes expériences et à partir du texte de Barthes, dans lequel j’ai relevé tous les passages qui concernaient l’absence et l’attente. Dans mon film, Pauline, sans nouvelles de l’homme qu’elle aime, passe par différents états comme l’incompréhension, l’inquiétude, la colère, la nostalgie, etc. qui sont tous évoqués par Barthes dans son livre. Au départ, je voulais absolument que certaines phrases de Barthes ponctuent le film, que son texte soit inscrit physiquement dans l’image, mais au bout de quelques essais en salle de montage, je me suis aperçue que ce n’était pas probant (parce que trop redondant), et je n’ai gardé que la citation en exergue.
On sent que le rythme de Pauline asservie est très travaillé, en alternant avec des moments d’apathie et d’euphorie. C’est un aspect du jeu que vous avez particulièrement travaillé avec Anaïs Demoustier ?
Dans la mesure où il ne se passe presque rien dans le film, et où tout repose sur les dialogues, il était très important en effet de travailler beaucoup la question du rythme. C’est de toute façon une chose à laquelle je tiens énormément : faire des films énergiques, vifs, impatients. Et je trouvais intéressant d’essayer de faire un film sur l’attente dans lequel on ne s’ennuie pas – en partie parce que le discours prend beaucoup de place, parce que Pauline comble le vide en parlant. J’ai donc beaucoup travaillé les dialogues, mais aussi la mise en scène, en chorégraphiant les scènes pour que tout soit le plus souvent possible en mouvement. C’est une des premières directions que j’ai données à Anaïs Demoustier : dire le texte très vite, et se déplacer beaucoup et énergiquement dans les scènes. Pendant, disons, le premier quart d’heure de tournage, elle a été un peu effrayée, elle avait peur que ça aplatisse son jeu, mais en réalité, comme elle est assez virtuose, elle a tout de suite réussi à s’approprier cette indication, grâce à un impressionnant sens du tempo. Mais il y a également, comme vous le soulignez, des moments où Pauline sombre dans l’abattement, l’apathie, et j’ai eu beaucoup de chance de pouvoir travailler avec une actrice comme Anaïs, qui incarne toujours les choses avec beaucoup de finesse et de nuance, ce qui permet d’éviter d’être trop schématique.
Le personnage de Pauline, par son caractère obsessionnel et excessif, pourrait être un personnage antipathique et pourtant, elle inspire plutôt de la bienveillance au spectateur. C’était un souhait de votre part, de veiller à ne pas la réduire à une caricature ?
Oui bien sûr. Le film est une comédie, les choses y sont montrées avec une légère dérision, parce qu’on a tous connu un jour cet état d’aliénation pas très reluisant, et qu’avec un peu de recul, on rit forcément de soi. Donc j’ai un peu forcé le trait en rendant Pauline excessivement obsessionnelle, excessivement peu attentive au monde qui l’entoure, etc. Mais au fond, il y a une part de tragique dans la situation de Pauline, en tout cas si l’on se place de son point de vue au moment où elle vit les choses, et je tenais à ce qu’on puisse s’identifier au personnage, avoir de la compassion pour elle. J’ajoute que selon moi, Pauline n’est pas un personnage antipathique en soi, c’est simplement la situation dans laquelle elle se trouve qui la rend légèrement insupportable. Et pour finir, je dois dire, encore une fois, que le jeu d’Anaïs Demoustier a beaucoup contribué à rendre le personnage attachant.
Pauline asservie, en plus de sa sélection à la Semaine de la critique, commence à voyager et à rencontrer un certain succès dans le circuit du court métrage. Quel public avez-vous envie de toucher avec ce film ?
Ah, c’est drôle, c’est une question que je ne m’étais pas posée ! Ce que je peux vous dire, c’est que depuis que le film est vu, il touche aussi bien des femmes que des hommes, des jeunes que des… moins jeunes, des gens très différents qui me disent s’être reconnus en Pauline, et cela me réjouit beaucoup.
De manière générale, quel regard portez-vous sur la visibilité des courts métrages aujourd’hui ?
Malgré quelques diffusions télé, à des heures tardives, les courts métrages sont surtout vus dans les festivals, et notamment dans des festivals consacrés au court métrage, donc par des gens qui ont fait la démarche de s’intéresser à ce format – comme, bien sûr, le public de Clermont-Ferrand. Je suis toujours heureuse que les gens aient cette curiosité, cet appétit, et heureuse de voir très souvent des salles pleines. Parce que nous faisons évidemment des films pour qu’ils soient vus… J’aime bien aussi les festivals qui décloisonnent, en proposant à la fois une programmation de longs métrages et une programmation de courts – comme c’est le cas par exemple à la Semaine de la critique. Ça paraît terriblement “cliché“, mais en tant que spectatrice, je ne fais pas de hiérarchie, ni même presque de différence, entre un très bon long et un très bon court.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Oui ! Pour ce film-là, c’est une évidence. Je l’ai écrit dans une grande liberté, sans jamais me contraindre à respecter par exemple des “règles“ de dramaturgie, d’action, etc., mais en suivant strictement mon désir. J’avais un propos, bien sûr, mais j’ai choisi pour le traiter une forme un peu radicale : le scénario était une pure continuité dialoguée, et jamais on n’aurait pu financer un long métrage écrit de cette manière…
Pour voir Pauline asservie, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F1.