Lunch avec Pearl Diver (Le pêcheur de perles)
Entretien avec Margrethe Danielsen, réalisatrice de Pearl Diver (Le pêcheur de perles)
Qu’aviez-vous envie d’explorer avec ces trois relations ?
Je voulais aborder l’idée selon laquelle il n’y a aucune relation qui n’apporte pas de souffrance. C’était mon sujet principal, mais j’ai aussi voulu montrer pourquoi nous continuons à nous ouvrir aux autres.
Pouvez-vous nous parler de votre style d’animation ? Comment avez-vous créé cet univers ?
Avant de commencer l’animation, avec une petite équipe d’étudiants, nous avons fabriqué des marionnettes, des décors et des accessoires en papier. L’esthétique du film s’inspire des classiques d’animation tchèques et des dernières productions en stop motion comme Le petit prince, où le papier et le minimalisme servent de cadre à une narration poétique. Au cours du film, on découvre trois couples sur le point de se séparer. Chacun d’eux suit un rythme particulier et ressent des émotions différentes. Il était donc tout naturel de les distinguer avec un éclairage et une couleur propre. Pearl Diver est un film très minimaliste et j’ai voulu ajouter du relief en utilisant du papier déchiré et mâché pour créer des effets et pour mieux relier les éléments à l’écran. La coquille d’huître vide qui tombe au fond de la mer est un bon exemple : de petits morceaux de papier bleus imitent les remous du sable au moment de l’impact. Je voulais me concentrer sur les personnages. Avec Claudia, la personne chargée de l’animation du hérisson, nous nous sommes penchées sur la conception de marionnettes pour apprendre à connaître les personnages. Nous voulions que leurs mouvements ressemblent à ceux des humains, mais avec une touche de fougue animale. Nous avons fait confiance à notre intuition pour définir si le résultat était satisfaisant et nous demandions toujours son avis à Lea (une des membres de l’équipe) pour les animations. Si elle mettait sa main sur son cœur et fermait les yeux, nous estimions que la séquence était suffisamment forte émotionnellement et que nous pouvions passer au plan suivant.
C’est un film très hypnotisant. Était-ce votre intention ? Que voulez-vous que le public retire de cette expérience ?
Je suis ravie que vous ayez trouvé Pearl Diver hypnotisant. C’était parfaitement voulu. Avant de réaliser Pearl Diver, je suis tombée par hasard sur des vidéos ASMR avec du slime sur YouTube. Par la suite, Facebook a compris que j’aimais bien ce genre de vidéos et m’en a proposé énormément dans mon fil d’actualités J’étais captivée, je n’arrivais pas à quitter l’écran des yeux. J’ai compris que je n’étais pas un cas isolé, car beaucoup de ces vidéos comptabilisaient des millions de vues. Et j’étais curieuse de découvrir pourquoi nous étions si nombreux à partager cet intérêt inutile. J’en suis venue à la conclusion que nous étions tous hypnotisés. J’ai pensé que ce serait une bonne idée d’essayer d’extraire l’essence des vidéos de slime et de l’utiliser dans mes travaux. En créant un univers texturé et agréable visuellement, avec une ambiance sonore similaire, je voulais hypnotiser les spectateurs et qu’ils en demandent plus. Jusqu’ici, une personne m’a dit qu’elle voulait en voir plus, je considère donc que cette expérience est un succès. Les trois histoires de Pearl Diver sont liées par une même thématique, mais elles ont été développées pour être indépendantes. Au fur et à mesure du projet, les histoires ont pris vie et ont interagi les unes avec les autres. J’ai souvent été surprise par le chemin que prenaient les histoires et par le temps que demandait chaque plan. Certaines prises durent trois fois plus longtemps que ce qui était prévu. Je pense que cela était nécessaire pour obtenir un espace en trois dimensions aéré avec un tempo plus lent. Avoir la possibilité d’être dans des paysages presque vides et d’observer pendant un long moment et au ralenti des animaux au cœur brisé renforce l’effet hypnotisant. Une fois le montage terminé, Heikki Kossi, la légende finlandaise du bruitage, m’a proposé de travailler sur mon film. En quelques réunions sur Skype c’était bouclé. La première fois que j’ai vu le film avec la nouvelle bande-son, j’ai eu l’impression de regarder un film complètement différent. J’étais complètement captivée. Cela correspondait parfaitement à la texture visuelle du film et il était parfois difficile d’imaginer que le son n’avait pas été enregistré sur place. L’association du slime, de la simplicité, des longs plans animés avec un cœur brisé et du bruitage semble être la bonne recette pour une expérience cinématographique hypnotisante.
Quels genres ou sujets aimeriez-vous aborder ?
Pour l’instant, je me régale en faisait des films où les choses ne font qu’empirer, mais dans un univers naïf et innocent. Mon film Bear hug, vient d’entrer en production dans les studios JPL, en France. C’est un court métrage sur un jeune ours solitaire, qui essaye désespérément de s’intégrer dans un groupe. Travailler sur ce genre de sujets existentiels me permet de donner du sens. Lorsque des animaux vivent des dilemmes humains, cela permet d’évacuer la pression et de montrer qu’il s’agit certainement d’un problème universel auquel de nombreuses personnes peuvent s’identifier. La douleur est humaine et elle fait partie de la vie. Je pense qu’il est nécessaire de mettre ces sujets en lumière.
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
Je pense que beaucoup de personnes ont envie d’en réaliser et qu’elles en réaliseront.
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous pour échapper à l’ennui ?
Des vidéos ASMR avec du slime, en attendant des jours meilleurs.
Pour voir Pearl Diver (Le pêcheur de perles), rendez-vous aux séances de la compétition internationale I6.