Goûter avec Pépé le morse
Interview de Lucrèce Andreae, réalisatrice de Pépé le morse
D’où vous est venue l’idée du morse pour incarner le personnage du grand-père ?
L’idée m’est venue d’une amie russe qui m’a fait visiter Saint-Pétersbourg et m’a décrit ces fameux « morses », des hommes assoiffés du moindre rayon de soleil qui bronzent été comme hiver sur les rives de la Neva, en slip. Ces hommes, certains presque cramés, flétris de soleil, m’ont frappé par le mystère et la poésie qu’ils dégageaient. J’ai trouvé cette image parfaite pour incarner un grand-père grotesque, au comportement incompréhensible et au nom follement évocateur. C’était pour moi l’occasion d’exploiter l’imaginaire décalé d’un enfant qui ne saisit pas tout des histoires des adultes.
Pouvez-vous nous en dire plus sur le lieu où se déroule la scène ?
Le décor du film est une plage médoquine (côte Atlantique juste au-dessus des Landes), une vaste étendue de sable bordée de hautes dunes sauvages. L’isolement du lieu, la mer infinie, les nuages lourds, le vent, tout cela participe à l’état émotionnel des personnages. Ils sont paumés, secoués, sans repère, et confrontés à leur extrême petitesse, que ce soit face à la mort ou face à cette nature immense. Ces plages ont toujours fait naître en moi de forts sentiments de fébrilité ou de peur terrible. C’est pourquoi j’ai choisi ce lieu que je trouve propice aux questionnements sur la mort, à l’exaltation des sentiments et aux apparitions surnaturelles.
Y a t-il des éléments autobiographiques ?
Oui, d’abord ces plages que j’ai beaucoup fréquentées petite et que mes parents aimaient visiter l’hiver, quand tout vacancier a disparu et quand elles reprennent leur caractère sauvage et déserté. Ensuite, chaque personnage de ce petit groupe désorienté est plus ou moins inspiré de ma propre famille. J’ai fait ce choix d’abord sans y penser vraiment, cherchant avant tout la crédibilité et la particularité de personnages forts et piochant naturellement des idées chez mes proches, pensant ainsi que j’éviterai les clichés. Puis cela m’a tout logiquement portée à parler de la famille de manière, je l’espère, très personnelle. J’ai aussi bien sûr puisé dans mon propre rapport à la mort et au deuil, et dans mes souvenirs d’enfance pour écrire les scènes fantastiques en particulier.
Pouvez-vous nous expliquer vos choix esthétiques et votre style d’animation ?
Ma première inspiration, autant graphique qu’émotionnelle, est née du photographe Shoji Ueda : ses hommes solitaires entre ciel et sable à perte de vue, ses scénettes absurdes, drôles ou mystérieuses, et ses superbes cadrages noirs et blancs. Le dépouillement des décors, souvent détachés de tout ancrage géographique ou temporel, laisse une place démesurée à l’Homme qui semble toujours en tête à tête avec lui-même. Cela m’a influencée dans les cadrages, les contrastes, la position des corps dans l’espace… Je suis aussi très influencée par les films d’animation japonais en général, Miyazaki, Takahata et Satoshi Kon, qui peuvent passer de la caricature grotesque à des expressions ou à des mouvements très fins et intériorisés. L’animation est clairement stylisée « à la japonaise ». On a essayé d’éviter la démonstration technique et cherché une certaine économie, une certaine retenue parfois tout en sachant exagérer et exploser quand il le faut !
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Je n’ai jamais fait plus long que ce film, alors je ne peux pas vraiment comparer, mais les enjeux financiers d’un si modeste film étant quasi-nuls, je n’ai eu aucune pression extérieure quant à l’écriture ou les choix de réalisation en général. Stylistiquement, j’estime avoir fait un film qui se rapproche ouvertement d’un langage cinématographique dit « classique », c’est-à-dire celui qu’on utiliserait en long métrage. En effet, je n’ai pas véritablement exploité les 1000 possibilités du court métrage d’animation car mon but était plutôt de « m’entraîner » pour, à l’avenir peut-être, faire un long-métrage.
Si vous êtes déjà venue, racontez-nous une anecdote vécue au Festival de Clermont-Ferrand ? Sinon, qu’en attendez-vous ?
Le festival de Clermont-Ferrand fut ma première expérience de festival dédié au court métrage de fiction (je connais mieux les festivals d’animation), et j’étais à l’époque émerveillée par tant de films narratifs, et « faciles à regarder ». Il faut savoir qu’en court métrage d’animation, la palette de styles est incroyablement variée, et j’ai des souvenirs de projections franchement douloureuses tant les films peuvent être épileptiques, glauques-suicidaires, complètement abscons ou tenant délibérément de la torture graphique ! Je me sens bien plus en affinité avec le monde de la fiction. Je me souviens avoir eu un énorme coup de foudre pour le film Ce qu’il restera de nous de Vincent Macaigne. Une famille qui explose, des personnages qui se hurlent violemment tout ce qu’ils ont trop retenu… Vu avec le recul, l’affinité des thèmes me paraît aujourd’hui incroyablement flagrante !
Je suis donc extrêmement flattée de voir mon film sélectionné par ce prestigieux festival.
Pour voir Pépé le morse, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F11 et aux séances scolaires.