Goûter avec Pigua (Terreur)
Entretien avec Yonatan Shehoah, réalisateur de Pigua (Terreur)
Les tensions entre Juifs et Arabes sont-elles importantes aujourd’hui en Israël ? La polarisation est-elle en train de s’aggraver ?
Oui, malheureusement, dans les périodes où les conflits et les attentats augmentent dans le pays, la communication et les relations entre Arabes et Juifs se dégradent considérablement, la méfiance et la peur sont palpables dans les rues, on les sent même dans l’air. En Israël, les tensions politiques et sociales font malheureusement partie du quotidien et touchent la vie personnelle et professionnelle de beaucoup de gens, les entraînant dans une spirale quotidienne de peur et de paranoïa.Quand on marche dans la rue, on craint un attentat potentiel, on surveille pour voir s’il n’y a pas des terroristes, et il est difficile de voir plus loin, de sortir de cette attitude de survie.Au final, de nombreuses personnes innocentes et irréprochables en subissent les conséquences, et pas seulement celles qui ont été blessées dans les attentats. J’ai demandé à Hilal Kaboub, un formidable acteur arabe israélien, de jouer dans mon film car je voulais donner une voix à cette innocence. Hilal est né à Jaffa et a joué dans des films récompensés comme Ajamiet Fauda. Pour lui, être acteur n’est pas juste un art, c’est une façon de militer pour sa communauté. Tzachi HaLevi est aussi un acteur connu qui a joué dans Bethlehem et Fauda. Tandis qu’on bossait 14 heures par jour sur le tournage, en y mettant tout notre cœur, toute notre âme, je me disais qu’au moins on faisait quelque chose pour dépasser enfin cette terreur.
Avez-vous fait des recherches sur les attaques au couteau en Israël ?
Oui. Le film évoque « l’Intifada des couteaux ». Une recrudescence des attaques au couteau a eu lieu en Israël de septembre 2015 à la première moitié de 2016. Ce qui m’intéressait pour ce film, plus que les attaques elles-mêmes, c’étaient les conséquences délétères du terrorisme dans la société israélienne et palestinienne. La convalescence après un traumatisme lié à une telle attaque peut prendre des mois, des années, et le syndrome post-traumatique peut perdurer encore plus longtemps. En faisant mes recherches, j’ai été surpris de découvrir combien de gens souffrent de syndrome post-traumatique en Israël, dont certaines personnes qui travaillaient sur mon tournage. Sachant cela, il a été difficile pour moi de recréer une attaque terroriste en leur présence.
Dans quelle mesure vous êtes-vous penché sur l’impact des médias dans cette méfiance ambiante ?
J’ai conscience que le film peut susciter des interprétations politiques de toutes sortes, mais j’espère sincèrement que l’impact des médias est surtout positif, car après tout, ce que je veux montrer, c’est que la terreur est notre véritable ennemie, et notre ennemie à tous, Israéliens ou Palestiniens. Et j’espère franchement que les réseaux sociaux qui évoquent le conflit au Moyen-Orient en ont conscience.
Pourquoi ne pas montrer l’attaque dont a été victime le personnage ?
Si j’avais montré l’attaque vécue par le personnage, le film aurait pris une direction complètement différente, et aurait perdu certains aspects auxquels je tenais. C’est pour cela que j’ai eu l’idée de montrer les attaques au couteau en direct à la télé du supermarché.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans la relation à la viande ?
Je voulais montrer les difficultés de Dan, montrer qu’une tâche aussi simple que couper de la viande devient insurmontable, à cause de son état post-traumatique. Et la présence d’un Arabe un couteau à la main fait remonter toutes ses peurs à la surface.
Diriez-vous que le format court vous a donné une certaine liberté ?
Le format court m’a donné l’occasion de raconter cette situation compliquée du point de vue d’une seule personne, sans avoir à répondre de ce qui arrive autour d’elle, et en laissant le spectateur juger par lui-même.
Pigua (Terreur) a été projeté en compétition internationale.