Dernier verre avec Re-Vue
Entretien avec Dirk De Bruyn, réalisateur de Re-Vue
Comment vous est venue l’idée de réaliser Re-Vue ?
Je l’ai réalisé comme partie d’une série d’œuvres où j’explore les interfaces et les obstacles entre les images numériques animées et la pellicule. Mon approche de travail fait que j’ai beaucoup de travaux inachevés auxquels je reviens occasionnellement, souvent quand je découvre ou m’habitue à de nouvelles techniques et stratégies que je dois appliquer à une image ratée ou abandonnée. Re-Vue est en fait le dernier rapport issu de mon dialogue perpétuel avec les matériaux et techniques des images animées.
À quel point êtes-vous proche de Mike Hoolboom ?
Je vivais à Vancouver, au Canada dans les années 90 où je l’ai rencontré la première fois et nous sommes restés en contact depuis. On monte, on tourne et on diffuse nos films aux mêmes endroits. Le plus récemment c’était durant la résidence du LIFT (« Liaison of Independent Filmmakers of Toronto », Contacts entre Réalisateurs Indépendants) à Toronto où nous avons eu l’opportunité d’échanges approfondis qui ont mené à ce film. Nous avons écrit chacun à propos du travail de l’autre. De mon point de vue, son long métrage Tom (2002) est un film précurseur dans l’histoire du cinéma contemporain d’avant-garde.
Êtes-vous intéressé par l’influence psychologique et émotionnelle des couleurs ? Pensez-vous que des représentations significatives, comme un oiseau ou un cheval, peuvent avoir ce genre d’effets ?
Je suis assurément intéressé par les effets de la perception et les stratégies que la vision requiert pour appréhender l’afflux rapide d’images. La relation entre la couleur et les effets de scintillements et images rémanentes m’intéressent depuis que j’ai terminé de réaliser mon premier film en 16 mm, Running, en 1976. Ces expériences de visionnage accéléré forcent le spectateur à entrer dans des procédés de reconnaissance de formes. Les graphiques que j’utilise dans mes films, dont les oiseaux et les chevaux, sont souvent liés à une période particulière de ma pratique. Je pense qu’au départ, j’avais gratté et fait la rotoscopie de ces images directement sur pellicule à partir d’un livre d’Eadweard Muybridge des années 80. De cette façon, les images, les mouvements et les gestes portent une histoire personnelle et autobiographique. Elles deviennent une sorte de mémoire viscérale. Je pense qu’un album-photo, plus démonstratif, opère de la même manière. Ces souvenirs ont peut-être été oubliés par la personne qui regarde l’album mais cela ajoute une dimension personnalisée et biographique à ma production d’images, dans laquelle Re-vue se distingue à travers le texte du film. J’ai tendance à garder plein de strips, de courtes bandes de films dans mon studio, des chutes et des vestiges de mes décennies d’expérimentations que je redécouvre et recycle numériquement. Ces chutes recèlent ces récits.
Quelles techniques avez-vous utilisé pour l’animation de Re-Vue ?
J’ai déjà cité quelques techniques, mais c’est la superposition de ces techniques, du grattage, de la teinture et des traitements que j’ai appliqués au film qui m’intéresse. En ce moment, je fais des films de réappropriation en found-footage à partir de mes archives. Ce qui devient important c’est comment ces éléments sont placés en relation les uns aux autres dans le temps et l’espace. Une part importante de Re-vue est liée à l’utilisation de ma vieille tireuse cinématographique JK (ndlr : ancien outil associant un projecteur de pellicule avec une caméra optique captant la projection pour tirer des copies cinéma), au bout de laquelle j’ai adapté une nouvelle grille sur laquelle j’ai placé une caméra numérique Panasonic GH3 en lieu et place de la Bolex 16 mm. C’est ma manière de transférer mes gribouillages du 16 mm en digital avec beaucoup de remaniements ajoutés.
Quel est votre rapport au sous-titrage ?
Le texte est ressorti de mon travail, souvent à l’oral mais aussi en sous-titrant. C’est une autre façon de communiquer, en échange avec les formes audiovisuelles. Cela permet de remettre en jeu le propos et la biographie ensemble. C’est une autre couche dans la superposition. Cela me ramène à mon propre corps. C’est comme une peau ou un réceptacle du film.
Pourquoi vouliez-vous faire un lien avec les feux d’artifice ?
Les aspects abstrait, festif et tangible des feux d’artifice parlent à mon intérêt pour la matérialisation physique du film. Les feux d’artifice sont connectés au décompte du Nouvel An au début du film. De cette manière ils signifient que le corps de ce film tient en une fraction de seconde. L’intégralité du film et du processus mental abstrait prennent place dans un très court laps de temps entre la fin du décompte et la détonation du feu d’artifice. C’est l’instant où se forme un souvenir.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Le court métrage est vraiment l’ouverture à tout. Dans cette fournée de temps vous pouvez pousser le public dans de nouveaux espaces ou des terrains inhabituels sans les perdre. Les publics contemporains sont capables de décortiquer des images complexes simplement et se prennent au jeu. En même temps ils s’ennuient plus vite. Il y a des écrans partout. Comme la chanson pop l’était aux années 60, le court métrage est idéalement conçu pour répondre à l’évolution et la mobilité de notre époque.
D’autres projections prévues ?
Re-vue a été diffusé dans pas mal de festivals incluant Melbourne, le festival international de l’Animation de Londres et le festival Antimatter au Canada.
Pour voir Re-Vue, rendez-vous aux séances de la compétition labo L3.