Goûter avec Red Apples (Les pommes rouges)
Entretien avec George Sikharulidze, réalisateur de Red Apples (Les pommes rouges)
Pourquoi ce titre ?
Cela vient d’une vieille tradition arménienne qui veut que les parents du marié fassent parvenir une corbeille de pommes rouges aux parents de la mariée après la nuit de noces, une fois que la perte de la virginité a été confirmée. C’est une manière de remercier les parents de leur avoir donné une fille pure, d’après la tradition. Cette pratique est toujours en vigueur de nos jours, et la plupart du temps, la corbeille de pommes rouges a une valeur symbolique. Le spectateur arménien comprendra tout de suite de quoi il s’agit et le plan sur les pommes rouges lui parlera. Mais nous ne voulions pas que tout cela soit explicité dans le film.
Dites-nous ce qui vous a poussé à raconter l’histoire de cette jeune mariée.
Pour moi, c’est la trahison qui est au centre de l’histoire. C’est ce sentiment que je voulais explorer avant toute chose – comment l’amour peut-il se transformer en haine en une seule nuit ? Ce qui est fascinant dans la trahison, c’est son côté irréversible : une fois qu’elle a eu lieu, on ne peut absolument rien faire pour arranger les choses. Si je devais imaginer la suite de la vie des personnages du film, je pense que la jeune mariée finirait par pardonner à sa belle-mère, mais pas à son mari. Avec la trahison, pas moyen de revenir en arrière. En outre, je voulais raconter l’histoire d’une femme aux prises avec une société traditionnelle. Il est important de donner la parole à ces femmes car c’est plutôt rare. Dans cette histoire, le seul véritable adversaire, c’est une tradition qui oppresse les femmes depuis la nuit des temps. Il est crucial de revoir ces traditions archaïques aujourd’hui et d’en révéler l’injustice et la cruauté.
Pouvez-vous nous parler de votre parcours de cinéaste ?
J’ai commencé à m’intéresser au cinéma pendant mes études à l’université de New York. Je faisais beaucoup de théorie, j’étudiais la communication et les médias, et pour un semestre, j’ai décidé de laisser de côté Derrida, Foucault, Adorno et Walter Benjamin pour choisir un cours de cinéma. Après cela, je savais ce que je voulais faire : une école de cinéma. Je me suis inscrit en Master option cinéma à l’université Columbia. Red Apples est mon deuxième projet d’études, après Le poisson qui s’est noyé, qui a été l’occasion de ma première venue à Clermont.
Quels ont été vos coups de cœur au cinéma cette année ?
Paterson, The Lobster, Cemetery of Splendour, Un pigeon perché sur une branche philosophait sur l’existence, etc.
Si vous êtes déjà venu à Clermont-Ferrand, pouvez-vous nous raconter une anecdote sur le festival ? Sinon, quelles sont vos attentes pour cette édition ?
Oui, j’ai rencontré un homme charmant, le chauffeur de la navette qui m’amenait de l’hôtel à la Maison de la culture. Il avait les cheveux gris et des lunettes de lecture, il portait tout le temps un béret noir et une écharpe rouge, on aurait dit un artiste peintre ou un critique gastronomique. Seulement, il ne parlait presque pas anglais, encore moins que moi le français, c’est-à-dire à peine quelques mots. Impossible de communiquer, donc, et il faisait tous les trajets de mon hôtel, mais à part moi, quasiment personne n’empruntait la navette, on se retrouvait donc juste lui et moi à faire la route, je m’asseyais à l’avant. La première fois que je suis monté, il était en train d’écouter les études pour violoncelle solo de Bach et dans mon français rudimentaire, je lui ai dit que c’était ce que je préférais de Bach. Et il a répondu « moi aussi », mais ensuite, on a compris qu’il était impossible de se parler. Alors on a fait le trajet en silence, en écoutant Bach. Après ça, dès que je montais en voiture, il mettait du Bach et on communiquait grâce à la musique. C’est devenu un rituel, on se souriait dès qu’on se voyait et puis il nous mettait du Bach. Un chouette personnage. J’adorais ces trajets car ils me permettaient de déconnecter du tourbillon du festival et m’apportaient une parenthèse de sérénité. Étrangement, je ne lui ai jamais demandé son nom, et lui non plus, mais on était amis et je pense qu’on l’est toujours. Il doit être dans le coin, à écouter du Bach au volant de sa voiture. Je me demande si je le reverrai…
Plus d’infos sur votre film :
Est-ce que d’autres sorties sont prévues ?
Le film est sorti en avant-première mondiale au festival international de Toronto, puis au festival de cinéma d’Austin, à l’Interfilm de Berlin et au festival de cinéma d’Uppsala.
Est-ce que vous participerez à d’autres événements pendant le festival de Clermont-Ferrand (Expressos, conférences ou autre) ?
Oui, je serai aux Expressos et à tout le reste.
Pour voir Red Apples, rendez-vous aux séances de la compétition internationale I10.