Retour d’expérience : résidence d’écriture de scénario à Clermont-Ferrand 2024
Rencontre avec Thomas Soulignac, scénariste et réalisateur en résidence et son producteur, Nelson Ghrénassia.
Thomas Soulignac travaille actuellement sur son premier long métrage En attendant le miracle dans le cadre de la neuvième édition de la résidence d’écriture de scénario de court et long métrage à la Villa Sabourin (Clermont-Ferrand). Ce film arrive à la suite de deux courts métrages produits dont Bruits blancs, qui a été sélectionné en compétition nationale au festival du court métrage de Clermont-Ferrand en 2021. Cette résidence court du 4 mars au 18 avril 2024.
Nelson Ghrénassia est producteur au sein de la société Yukunkun Productions qu’il a créée il y a plus de dix ans et avec laquelle il a fait beaucoup de courts métrages ainsi que trois longs métrages à ce jour. Il produit Thomas Soulignac depuis ses deux premiers courts et sur son long métrage qu’il développe à Clermont-Ferrand en ce moment.
Synopsis : Lucie, Médecin de 40 ans, revient là où elle a grandi pour vendre la maison de son père disparu et tenter de refaire sa vie. Une maison isolée aux abords d’une zone commerciale sinistrée. Mais Hervé, son grand frère, persuadé qu’il s’agit d’une terre sacrée dont leur père tirait des pouvoirs de guérisseur, s’y oppose. Il en est persuadé, Lucie est de retour pour prendre sa relève : ici, bientôt, vont avoir lieu des miracles..
« [La résidence, c’est] l’idée de partir ailleurs et de se retrouver dans un endroit qui, du coup, devient un décor de fait puisqu’on parle de scénario, enrichi de nouvelles rencontres et de regards extérieurs : il y a ces temps de tutorat qui sont des temps de rencontres professionnelles, mais avec des personnes qu’on n’a pas choisies. C’est un exercice un peu particulier de faire lire son scénario à des gens qu’on n’a pas choisis, de se confronter à un premier regard extérieur, professionnel.
Thomas Soulignac
C’est aussi pour ça qu’on postule en résidence, dans cette mouvance à faire vivre son projet dans la tête des autres, de ses pairs. Ça permet de faire exister le film ailleurs et autrement. Ce regard extérieur permet de faire vivre le projet, ça lui donne corps et ça l’amène même ailleurs, hors de ma zone de confort, que je me construis ici hors de mes habitudes. C’est une situation assez particulière et introspective. Quand on n’est pas dans son quotidien, le film vous rattrape autrement. »
Quel est l’intérêt pour vous de répondre à une résidence d’écriture ?
Thomas Soulignac : C’est toujours un marqueur important dans un parcours d’écriture puisque ça peut peut donner du crédit aux projets qu’on est en train de faire au nom d’une institution ou d’un réseau professionnel, dans un premier temps. Ça donne confiance, ça donne de la valeur au projet et surtout, ça permet de l’ancrer sur un rail de travail professionnel. Que ce soit au niveau des rencontres permises par la résidence – via le tutorat, l’encadrement ou les potentielles rencontres qu’on peut faire sur le terrain – mais aussi du temps qui est dégagé, autrement dit ce temps et cet espace précieux pour travailler, c’est quelque chose en tant qu’auteur qu’on n’a pas toujours la possibilité de s’accorder.
Ces six semaines de résidence me permettent donc d’accorder ce temps-là au nom du travail, de couper toute sollicitation extérieure, de me plonger dans une réflexion et dans une écoute. C’est également une manière de se nourrir, de s’inspirer, qui est très particulière et très précieuse pour le cheminement intérieur qu’est celui de l’écriture de scénario.
Nelson Ghrénassia : De mon point de vue, les résidences sont souvent un fantasme pour les auteurs, du moins avant qu’ils les expérimentent. C’est assez virtuel, un peu flou, d’où ce « fantasme » sur la capacité de se projeter dans un espace et un temps offerts et spécialement dédiés à l’écriture.
Moi, en tant que en tant que producteur, je constate que j’ai des auteurs qui arrivent à écrire de manière très autonome chez eux. Mais d’autres éprouvent des difficultés à écrire quotidiennement dans leur lieu de vie et ont besoin de ces résidences d’écritures qui leurs permettent de sortir de chez eux pour ouvrir les portes et écrire ailleurs .
Je pense que les résidences doivent être, comme c’est le cas ici, encadrées avec un objectif et, de surcroît, un point de vue, un angle. En l’occurrence, pour un auteur comme Thomas qui vient du scénario et qui a aussi la capacité à pouvoir se mettre seul face à lui même ses idées et au vu de son projet, la résidence est tombée pile au bon moment.
Dans quelle mesure cette résidence-là est particulière pour toi ?
TS : Elle est particulière déjà sur le fait d’être seul pour écrire ce projet. Il y a quelque chose d’assez singulier dans le fait d’être dans cet espace, à la fois vaste et solitaire. Donc il faut trouver la façon de l’habiter. Et finalement, la meilleure façon de le faire, c’est d’y amener son projet. C’est à dire je ne vis plus seul ici mais avec mon scénario. Il emplit aussi les murs, l’espace. J’y pense beaucoup quand je suis ici. C’est une modalité un peu particulière qui se trouve être bénéfique car j’avais connu des résidences où il y a de l’échange qui sont aussi extrêmement importantes, précieuses et singulières. Mais là, c’est dans un rapport avec soi qui nourrit complètement le travail.
Il y a le fait d’être projeté dans un endroit complètement extérieur à mes habitudes. Je vis à Paris, je travaille à Paris, je suis entouré de gens qui font aussi ce métier-là, des scénaristes avec qui je peux échanger. Et donc là, il y a l’idée de partir ailleurs et de se retrouver dans un endroit qui, du coup, devient un décor de fait puisqu’on parle de scénario, enrichi de nouvelles rencontres et de regards extérieurs : il y a ces temps de tutorat qui sont des temps de rencontres professionnelles, mais avec des personnes qu’on n’a pas choisies. C’est un exercice un peu particulier de faire lire son scénario à des gens qu’on n’a pas choisis, de se confronter à un premier regard extérieur, professionnel.
C’est aussi pour ça qu’on postule en résidence, dans cette mouvance à faire vivre son projet dans la tête des autres, de ses pairs. Ça permet de faire exister le film ailleurs et autrement. Ce regard extérieur permet de faire vivre le projet, ça lui donne corps et ça l’amène même ailleurs, hors de ma zone de confort, que je me construis ici hors de mes habitudes. C’est une situation assez particulière et introspective. Quand on n’est pas dans son quotidien, le film vous rattrape autrement.
C’est donc un cadre qui permet de te focaliser sur ton travail d’écriture, sans parasitage extérieur ?
TS : Effectivement, la résidence permet de se concentrer, se focaliser, mais pas de manière brutale ou trop intense. Au contraire, le temps permet de se concentrer sans forcer. Par exemple, une partie de mon temps, je vais au cinéma et de manière assez inattendue, je trouve des réponses, que ce soit dans un film de Miyazaki ou dans un documentaire sur une thématique complètement extérieure au projet. En fait, le hasard ou le fait d’être réceptif fait que je vois des choses que je n’aurais pas pu voir si je m’étais trop concentré dessus.
Je me trouve donc dans une disposition à la fois de réception et d’introspection. Le temps, c’est une donnée qu’on a du mal à s’accorder. En fait, c’est une donnée qui est précieuse, mais je suis persuadé que tout travail ne se fait pas dans l’urgence, les idées qui émergent dans cet état mental nous paraissent souvent lumineuses et très fortes mais perdent de leur éclat, passé l’instant. Pour déterminer quelle idée on fait vraiment résonner, laquelle nous fait vibrer, il n’y a qu’une seule notion qui permet de faire ça, c’est le temps.
Le temps, c’est à la fois un luxe et une nécessité dans le processus d’écriture.
Cette résidence te permet donc de te canaliser tout en te laissant une complète liberté sur la gestion de ton temps ?
TS : Oui, complètement. C’est quelque chose que j’ai du mal à faire dans mon quotidien. Par exemple, moi, j’aime bien travailler le soir dans une vie citadine, ce qui peut être complexe parce qu’on a pas mal de sollicitations. Alors qu’ici, je me permets la journée d’être très oisif, d’aller m’inspirer, d’aller me balader ou voir des films, puis le soir de me mettre au boulot puisque j’ai pris ce temps là pour ça. Donc effectivement, je respecte une espèce d’horloge interne de manière bien plus souple et moins brutale.
C’est beaucoup de travail, d’écrire un scénario. Ça demande une implication assez forte affectivement. Ça sollicite à la fois le cœur et le cerveau. Ça implique beaucoup d’engagements et on peut être fatigué après des séances d’écriture. C’est un travail qui permet de « s’accomplir » puisque c’est autour de mes émotions que je recherche. Ça peut être très brutal quand on le fait mal, qu’on tord le bras à ces choses-là, qu’on veut les faire entrer ou qu’on répond à des injonctions. Par contre, quand on se laisse le temps, ça peut devenir extrêmement agréable parce que justement, on ne brusque plus rien. Et ce bain émotionnel dans lequel on a envie de se plonger, c’est un endroit de rencontres avec soi et aussi avec les autres, c’est précieux et très agréable.
Est-ce que ce dépaysement joue un rôle dans ton processus d’écriture ?
TS : Oui, je ne saurais pas dire exactement pourquoi. Même dans cette solitude, j’adore aller écrire au milieu des gens, aller en ville et me poser dans un endroit ou il y a du bruit, du monde, ça me plaît beaucoup. Ça permet de reposer le regard, d’aller dans des endroits où il y a de la vie. En fait, c’est bête, mais c’est tout aussi nourrissant que si on était dans un film, et parfois de manière complètement inattendue. Il suffit de lâcher un tout petit peu l’ordi ou le carnet, de regarder ce qui se passe : des scénarios, il y en a partout !
Donc il suffit d’avoir une émotion ou de penser un personnage et puis d’un coup, de voir passer quelqu’un. Alors, ce personnage devient l’objet de votre pensée et effectivement un support de réflexion ou une incarnation. Là je parle des gens, mais il y a aussi des décors. On est à Clermont-Ferrand ou il y a tout autant de nature que de constructions humaines et de ville. J’ai l’impression de pouvoir me servir partout, d’aller à l’endroit qui peut m’inspirer le plus, que ce soit dans la bibliothèque de l’école d’architecture à côté de laquelle je suis logé, que dans un bar ou dans un magasin dans lequel je pourrais me poser pour observer ou écrire.
Un autre aspect, c’est comme si je devenais invisible : c’est peut être un travail de photographe, d’anthropologue ou de chercheur, je sais pas trop, mais il y a une volonté de s’effacer. Ça, c’est un truc que j’adore, d’être l’observateur qui disparaît. J’ai l’illusion d’être celui qui disparaît en regardant la vie passer et c’est très agréable.
Entre ton arrivée et maintenant, qu’est-ce qui a le plus bougé ?
TS : En arrivant ici, il me manquait des éléments de compréhension intime à mon film, c’est à dire que je savais de quoi je voulais parler, je savais comment le raconter, mais autour de mes personnages, il y avait quelque chose qui m’échappait : qu’est ce qu’il y a de plus intime et plus profond dans ce personnage ? J’avais en tête un personnage qui va revivre son passé, qui va explorer des endroits de son passé. Et ça, je le sais théoriquement, mais je n’arrivais pas le ressentir émotionnellement. Et grâce au tutorat et à cette « non injonction », cette absence de pression, les réponses sont un peu venues d’elles-mêmes.
On a toujours peur lorsqu’on a un temps imparti. Qu’est ce qui arrive si on arrive au bout de ce temps imparti et qu’on n’a pas trouvé ce qu’on était venu chercher ? Ça peut être très angoissant, surtout dans l’écriture. On peut avoir des grands moments de vertige quand on n’a pas les réponses aux questions qu’on se pose. Ici, il y a des petites images et des petites scènes qui sont apparues d’elles-mêmes, alimentées aussi par les rencontres et les travaux poursuivis et donc je crois, à cet instant T, avoir trouvé des éléments de réponse sur le cœur-même de l’intime de mes personnages que j’étais venu chercher. Et ça, j’en suis hyper content. Là, il me reste encore deux semaines à travailler, je sais que quoi qu’il arrive, ce temps est déjà gagné puisque j’ai répondu à des endroits qui étaient des angles morts quand je suis arrivé.
NG : Là, on travaille très spécifiquement sur le scénario depuis un an et demi à peu près et la résidence est arrivée au bon moment. Il a déjà écrit deux versions dialoguées et j’ai l’impression que ce que Thomas fait là à l’heure actuelle, c’est à la fois approfondir et découvrir d’autres pistes, mais qui ne sont pas des pistes de perdition.
Des fois, les résidences, quand elles arrivent tôt dans le travail, deviennent en quelque sorte des « nouveaux mondes ». C’est à dire que tout d’un coup, les auteurs explorent des pistes encore un peu brouillonnes et peuvent passer plusieurs semaines à creuser dans la mauvaise direction.
Là c’est arrivé pile au bon moment chez quelqu’un qui sait ce qu’il a envie de raconter, qui sait quel personnage il a envie de mettre en jeu. Et puis, c’est un film qui parle de territoire et là, pour le coup, c’est une résidence au cœur d’une école d’architecture, avec la possibilité de s’imprégner du lieu pour pour nourrir le scénario. C’est quand même assez rare quand tout d’un coup, la résidence rencontre l’objet du film. Là, le point de vue fait que vous choisissez des projets qui peuvent rencontrer l’espace dans lequel vous le mettez et c’est assez unique et remarquable.
Est-ce que tu peux nous pitcher ton projet de film en quelques mots, à la lumière de ces quelques semaines passées en résidence ?
TS : Mon film s’appelle En attendant le miracle. Ça raconte l’histoire d’une médecin qui décide de changer de vie et qui voudrait vendre la maison dans laquelle elle a grandi, qui est une maison de famille et qui aujourd’hui est une petite maison aux abords d’une zone commerciale en déclin. En revenant, elle retrouve son frère qui lui affirme qu’elle n’est pas venue pour vendre mais pour prendre soin des gens car elle a des pouvoirs de guérison.
Elle, elle est extrêmement cartésienne, elle n’y croit pas. Pourtant, tous les gens autour d’elle, à son contact, vont tout doucement se transformer, si bien que ça va commencer à la faire douter et elle va se demander si elle est capable de miracle. Et tout le film va poser cette question. Là où elle va être obsédée par la réponse à la guérison pure, elle ne va pas se rendre compte que, finalement, le vrai miracle qu’elle va créer, c’est (re-)créer le lien social. C’est un film qui parle d’une forme de souffrance moderne, de l’absence de relation dans notre modernité un peu consumériste et on va se rendre compte que, que ce miracle soit vrai ou pas, ce n’est pas bien grave puisqu’il a permis aux gens de se reconnecter. Et est-ce que ce ne serait pas dans cette connexion-là, finalement, que se trouve le vrai miracle ?
L’idée, c’est d’embarquer le spectateur dans un film potentiellement fantastique, sachant que la vraie magie, elle n’est pas forcément là où on l’attend.
C’est quoi la suite du travail, en sortant de la résidence ?
NG : La suite idéale, c’est qu’on qu’on puisse se fixer sur un scénario, une version de financement ou quelque chose de semi-définitif d’ici la fin de l’année scolaire. Et puis de lancer le financement sur les prochains mois pour espérer au milieu 2025, commencer le tournage, en Grand Est, chez Thomas, en Normandie ou en Auvergne.
Propos recueillis par Jacques Pouillet et Jérôme Ters le vendredi 5 avril 2024
Ce projet de résidence est possible grâce à la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes, le Ministère de la Culture et le CNC.
En savoir plus sur la résidence d’écriture de scénario court et long métrage
En 2015, à l’occasion de l’implantation de l’École nationale supérieure d’architecture de Clermont-Ferrand au cœur d’un quartier en zone prioritaire, l’ENSACF et Sauve qui peut le court métrage, avec l’appui de la Direction régionale des affaires culturelles Auvergne-Rhône-Alpes, développent une résidence d’écriture de scénario avec 2 ambitions :
- Accompagner au plus près la création cinématographique.
- Rayonner et fédérer sur un territoire en zone prioritaire.
Cette résidence est ouverte à toutes les écritures cinématographiques : documentaire, fiction, animation, expérimental, court ou long métrage.
MOYENS MIS À DISPOSITION
- Une bourse d’écriture de 3000 €
- Un espace de travail et de vie : la villa Sabourin, pour la durée de la résidence (200 m2, 2 chambres, bureau, projecteur vidéo, Wi-fi…)
- Un accès à la bibliothèque de l’école d’architecture
- Un accès au centre de documentation de La Jetée, centre unique au monde avec 155 000 courts métrages disponibles, 5 000 longs métrages, une documentation papier spécialisée sur le cinéma, l’intégralité des archives de l’INA, etc
ACCOMPAGNEMENTS PROFESSIONNELS
Un accompagnement à l’écriture assuré par Pascale Faure, consultante cinéma court et long métrage chez L’Œil en plus, Nicolas Ducray, scénariste et Jérôme Ters, membre de Sauve qui peut le court métrage.
Un accompagnement au développement en lien avec le scénario assuré par un rabbin, une couturière, un instrumentiste, un enseignant de musique…
En contrepartie, la résidence implique les lauréats à 8 interventions en classe lors de projections, échanges et ateliers en écoles, collèges, lycées et établissements supérieurs. Les lauréats abordent la création filmique, du scénario au montage en passant par l’inspiration et la question du point de vue.
Cette année, les interventions ont regroupé 227 élèves et étudiant·e·s de 8 établissements.