Breakfast avec Sit and Watch (Assieds-toi et regarde)
Entretien avec Matthew Barton et Francisco Forbes, réalisateurs de Sit and watch (Assieds-toi et regarde)
Sit and watch questionne notre besoin d’être entendus et d’être vus, approuvés ou confrontés, et de la force que nous mettons pour remplir ce besoin, comment en êtes-vous arrivé à cette réflexion et pourquoi vouliez-vous travailler dessus ?
Tout d‘abord, le thème principal de notre documentaire est ressorti après qu’on ait tourné la plus grosse partie du film. Le procédé est très inhabituel. On a commencé avec la simple idée de faire des portraits modernes de Londres. On a choisi de faire très simple, de suivre différents personnages ou situations qui nous intéressaient. Un ensemble de raisons nous guidaient dans cette recherche mais notre première motivation était de dépasser l’influence que pouvait avoir Londres sur nous à ce moment-là. On avait pleinement confiance en ce procédé et ça nous a mené à comprendre que des liens allaient émerger de ces éléments une fois combinés. Après 18 mois de tournage, des contours ont effectivement surgi et un début de structure a commencé à se construire. Avec le cœur thématique du film “dans la boîte”, on a pu concevoir le tournage des éléments manquants en fonction de ce concept nouvellement décidé. Pour nous, il est devenu évident que toutes les scènes que nous avions filmées tournaient autour du thème de la représentation et du spectacle. Les personnages, même s’ils sont importants pour la dynamique du film, sont alors devenus secondaires à ce thème. Les parallèles entre ce que nous filmions et les nouveaux statu-quo de la société Londonienne nous semblaient puissants et conformes aux conversations que nous avions eues au départ. Dans le cadre de ce thème, il apparaît qu’en tant qu’être humains, nous cherchons tous une histoire avant de questionner la véracité de l’image. Cet élément est devenu une facette de notre approche et une chose qui nous a aidé à placer ce film dans un réalisme qui questionne l’authenticité de l’image documentaire en général.
Pourquoi étiez-vous intéressé par le fait de créer ces histoires très différentes et déconnectées entre elles pour composer le film ?
On a un peu répondu à la question précédente, mais la nature de Londres, son affiliation intrinsèque avec la technologie, Internet et la multitude de spectacles et la confusion que cela propage, ça nous permet de ‘zapper’ d’une chaîne (ou scène) à une autre. Ce dispositif était aussi très utile pour donner le ton approprié au film qui, pour nous, se fait le miroir du rythme palpitant de Londres, ou de toute autre métropole.
Les différentes histoires sont si éloignées entre elles qu’il me semble que d’aucuns peuvent en apprécier une partie, tandis que d’autres aimeront une autre partie, comment avez-vous exploré des formes aussi distantes pour dire la même chose ?
Comme dans tout film fait d’éléments disparates, chaque spectateur en appréciera certains segments plus que d’autres. Pour nous, c’est un enjeu d’explorer ces différentes manières de délivrer un message (celui du spectacle et celui du spectateur). Ou pour le dire autrement : en travaillant sur le même thème à travers des situations qui semblent au premier abord très différentes, on espère que le spectateur réfléchira à la place qu’occupent les narrations, histoires, représentations et spectacles dans notre quotidien.
Comment avez-vous conçu la musique, chansons et sons ?
Pour la musique, nous avons travaillé avec le compositeur Raffaele Martirani, qui a fait un super travail. On a d’abord coupé la séquence de fin avec une chanson modèle qui délivrait le sentiment que nous souhaitions. La musique est supposée t’étourdir et te désorienter ; comme si tu étais une pièce d’un puzzle qui est trop grand à comprendre. On l’a envoyé à Raffaele avec cette envie et, après quelques échanges, il avait tout fait. On a un peu joué avec les différents éléments (percussions, synthés, etc.) pendant le mixage avec Lautaro Aichenbaum, l’habilleur sonore. Pour ce design sonore, il n’y a rien de trop décalé car c’est en grande majorité du dialogue. Les scènes sur lesquelles nous avons le plus travaillé sont celles de boxe, qui ont un côté un peu fou pour évoquer la violence de l’entraînement et du combat. Et il y a aussi les scènes ”de rue”, en particulier la scène où les passants sont chorégraphiés. C’est bien sûr 100% fantasque pour souligner l’idée que tout est ”mise en scène”.
Comment avez-vous tourné les extérieurs, le trottoir, l’escalator et dans le bus ?
On est juste venus avec la caméra et on a tourné, aussi vite que possible avant qu’un représentant de l’autorité ne nous demande de partir. Je pense qu’on a battu un record quand on a tourné à Canary Wharf, la nouveau quartier de la finance. La sécurité a pris 15 secondes avant de nous demander de partir. C’est le niveau de surveillance qu’il y a à Londres en ce moment.
Sit and watch nous donne a voir beaucoup d’espoirs et de déceptions, à quel point étiez-vous intéressés par l’Espoir ? Pensez-vous faire d’autres films autour de cette thématique ?
Francisco Forbes (FF) : Moi oui. Je suis quasiment obsédé par l’idée que la vérité en soi est sans importance et que la façon dont est racontée une histoire est tout ce qui importe. Et par l’effet que cette idée-là a sur le concept de film documentaire. En ce qui concerne l’espoir, je ne sais pas. Je ne suis pas sûr que ce soit une question d’espoir, c’est plutôt une question de vouloir comprendre certains mécanismes de l’histoire de l’humanité et de comment elle avance et est capable de maîtriser ça. Je crois que notre futur peut être très sombre ou très lumineux et je change d’avis sur cette question à peu près tous les jours. Ce dont je suis quasiment certain, c’est que nous allons être les témoins de changements profonds dans notre société, que nous n’avons jamais connu auparavant, et cela semble passionnant, c’est le moins qu’on puisse dire.
Matthew Barton (MB) : Oui, je crois que maintenant plus que jamais, il devient difficile de distinguer les faits et la fiction. Peut-être que cela mène à une population qui questionne davantage les choses mais qui reste dans cette illusion intrinsèque de comment nous nous positionnons au monde. Je pense que Sit and watch traite de l’espoir de manière très froide qui pourrait presque devenir gênante, voire même effrayante. Je pense qu’il est lié au sentiment physique duquel nous sommes partis au départ. Ceci dit, je n’avais pas ressenti le besoin de propager de l’espoir dans ce projet, ce qui était important c’était de mettre en lumière les pièges de notre perception à tous. Je suis très intéressé par le fait d’approfondir les thèmes du film. Ce sentier tortueux de la vérité semble sans fin.
Quels ont été vos coups de cœur au cinéma cette année ?
FF : Pas tant de films que ça, mais ce sont les choses que j’ai vues qui m’ont le plus plues : Opération Avalanche, de Matt Johnson. This house has people in it, Unedited Footage of a Bear et Alantutorial d’Alan Resnick. La série American Crime Story: OJ Simpson, je pense qu’elle traite de sujets similaires à notre film. Et j’ai découvert Trailer Park Boys, qui m‘a fait beaucoup rire.
MB : J’ai regardé beaucoup de films d’Adam Curtis, Bitter Lake était particulièrement impressionnant. Talk to me Marlon était super et j’ai beaucoup aimé The Himalayan Boy et The TV Set aussi.
Si vous êtes déjà venu(e)(s), racontez-nous une anecdote vécue au Festival de Clermont-Ferrand ? Sinon, qu’en attendez-vous ?
Jamais venus pour l’instant. On espère voir de supers films et vendre le nôtre.
D’autres projections sont-elles prévues ?
On montre le film dans quelques autres festivals en France, Grèce et Royaume-Uni, prochainement. On est aussi en train de travailler à une sortie en salles dans un programme commun avec un film qui s’appelle The Dazzling Light of Sunset, réalisé par Salomé Jashi dont nous pensons qu’il traite des mêmes sujets mais dans un environnement complètement différent, une petite ville de Géorgie. Après quoi, on voudrait le diffuser en ligne en VOD.
Pour voir Sit and watch, rendez-vous aux séances de la compétition Labo L3.