Goûter avec Skuggdjur (Les animaux de l’ombre)
Entretien avec Jerry Carlsson, réalisateur de Skuggdjur (Les animaux de l’ombre)
Pouvez-vous expliquer le choix du titre ? Qui sont ces mystérieux animaux de l’ombre ?
Je pense que les humains sont des animaux de l’ombre, des créatures sociales qui tentent d’imiter les autres pour s’intégrer. Nous portons dans notre inconscient tous les aspects de nous-mêmes que notre ego refuse de reconnaître ou de montrer, car la société qui nous entoure ne les accepte pas. Nous imitons pour survivre. Notre cerveau est programmé pour imiter ce que nous voyons afin de nous intégrer, et cela joue un rôle important dans notre apprentissage. Mais cela peut également être un problème lorsque nous voulons nous adapter à un groupe qui n’accepte pas ce que nous sommes en tant qu’individus. La peur d’être exclu peut devenir si forte que, pour rentrer dans le moule, nous allons à l’encontre de notre comportement naturel et nous projetons sur les autres notre haine de nous-mêmes.
Dans tout groupe d’êtres humains, il y a un comportement qui est la norme, et si une personne se comporte différemment, on va la corriger, la punir, la faire taire, la maltraiter ou l’exclure d’une manière ou d’une autre. Certaines personnes sont exclues en raison de leur couleur de peau, de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leurs croyances ou de leur classe sociale, mais d’autres peuvent l’être parce qu’elles agissent différemment et empêchent le reste du groupe de s’amuser. Les humains sont des animaux qui vivent en troupeau et ont un besoin vital d’appartenance, et cette appartenance au groupe passe par un certain mimétisme. Voilà ce que sont les animaux de l’ombre à mon sens.
Qu’avez-vous voulu montrer à travers le regard de la petite fille sur la soirée ? Est-ce que nous observons les adultes avec elle ?
Le comportement humain du point de vue d’une personne qui ne l’a pas encore décodé ni compris. Le film commençait par l’image d’une femme qui avait la main coincée dans la bouche d’un convive, une sorte de duo. Je n’en savais pas plus, sinon que j’avais envie d’approfondir cette idée. Peu à peu, ce film chorégraphique sur les comportements sociaux s’est articulé autour de cette image. La petite fille, Marall, est arrivée bien plus tard, mais elle est devenue la partie la plus importante du puzzle. Je voulais faire un film à la fois léger et absurde sur le comportement humain et les rituels sociaux. J’ai donc déconstruit et recomposé ces rituels sous un jour nouveau, un peu détourné. Mais je voulais qu’on puisse les reconnaître. Je voulais susciter une réaction chez le spectateur, et qu’il reconnaisse peu à peu dans ces rituels son propre comportement. C’est là que j’ai compris qu’il fallait le point de vue extérieur d’une personne à qui on puisse s’identifier, un point de vue que nous avons tous connu, celui de l’enfant. Mais on ne se contente pas d’observer la fête à travers son regard, on l’observe également en train de vivre les événements de la soirée. Le regard de la petite fille ajoute une dimension réaliste à une situation surréaliste, il permet au spectateur de comprendre à quel point le comportement humain est étrange pour quelqu’un qui ne l’a pas encore décrypté, qui n’a pas compris pourquoi nous faisons les choses de telle ou telle façon. L’enfant est l’observateur qui n’en sait pas plus que le public du film sur les normes sociales à respecter pour survivre dans cette étrange soirée.
Pouvez-vous nous parler de la « chorégraphie » de la scène musicale ?
Dans cette scène où les adultes dansent, la chorégraphie est inspirée de la parade nuptiale chez les flamants roses, qui ressemble étrangement à celle des humains. Comme la plupart des animaux, les humains se rapprochent en dansant. Chez les flamants roses, on se croirait en boîte de nuit, chacun suit le mouvement d’un petit groupe et se cale sur le rythme des autres, et ce faisant, ils choisissent un partenaire, comme quand on jette son dévolu sur un danseur en discothèque. Au cours de cette danse collective, des couples se forment et se rapprochent pour tester leur compatibilité. On retrouve ce rituel social qui consiste à danser pour trouver un partenaire aussi bien chez les humains que chez les animaux. Dans le film, on voit la danse des flamants roses exécutée par des humains. L’accouplement se fait aussi à la façon des oiseaux, en accolant les orifices – en l’occurrence les aisselles.
Comment définir le genre du film ? Quelles sont vos influences cinématographiques ?
Je le définirais comme un drame surréaliste basé sur le mouvement.
Pour moi, la danse et le cinéma sont des formes artistiques très proches qui se construisent toutes les deux sur le rythme et les éléments visuels. Je voulais faire un film où la chorégraphie est faite pour le film et non pour la scène. Dans Skuggdjur, mon but, c’était d’arriver à un langage où le jeu des acteurs s’exprime par le mouvement du corps et devient spontanément une danse. On frise le surréalisme, tout en restant réaliste. Au cours de ce travail, j’ai découvert un langage basé sur le mouvement où le jeu d’acteur et la danse ne font plus qu’un.
Pour voir Skuggdjur, rendez-vous aux séances de la compétition internationale I13.