Goûter avec Snap
Entretien avec Felipe Elgueta et Ananké Pereira, réalisateurs de Snap
Pourquoi avoir fait un film sur Snapchat et ses « histoires » ?
On a initié le projet Snap pour deux raisons. Tout d’abord, quand on a découvert l’application, on était obsédés par toutes ces images mises en ligne par les gens, mais sans savoir ce qu’on allait en faire – on ressentait le besoin de raconter une histoire avec tout ça. Deuxièmement, on réfléchissait à une façon de faire du cinéma à partir d’Internet et de la vie virtuelle.
Vouliez-vous faire un parallèle avec un journal intime ? À votre avis, qu’est-ce qu’on cherche quand on publie son journal intime sur Snapchat au lieu de le garder pour soi ?
Plutôt que de faire un parallèle avec le journal intime, je voulais étudier la façon dont les gens construisent leur propre image à travers les réseaux sociaux. Ce média nous donnait une ouverture exceptionnelle sur la vie privée des gens, et nous permettait de découvrir un langage en plein essor. Pour nous, les gens se créent un personnage à travers leur histoire, et ce qu’ils mettent en ligne nous permet de comprendre leur message. Ils s’exposent, ils s’expriment – plus ou moins intentionnellement.
Instagram et Facebook ont récemment ajouté une fonction similaire à Snapchat. Pensez-vous que cette forme de communication ait le vent en poupe ?
Bien sûr, quand on a commencé à travailler sur ce film, Instagram ne le proposait pas encore, ce type de communication était donc l’apanage des ados. Mais à présent, d’autres médias se le sont appropriés et plus de gens y ont accès. C’est devenu un outil de communication massif et officiel. Il est très impressionnant de voir que les gens s’approprient instinctivement ce micro-langage audiovisuel pour exposer leur vie et que tous les consommateurs se prennent au jeu. On adore !
Pourquoi avez-vous choisi cette histoire et pas une autre ?
Durant la phase de recherche, on a enregistré plus de quarante utilisateurs de Snapchat, la plupart étaient très intéressants, mais comme les gens ont tendance à mettre en scène des événements du même genre, c’était souvent répétitif. On s’est donc concentrés sur les personnes qui s’ouvraient vraiment à nous. Puis on a échangé sur cette matière première pour choisir ceux qui nous semblaient avoir un réel discours sur l’image de soi, le corps et l’identité sexuelle.
Le personnage principal savait-il que vous l’enregistriez ? Dès le début ?
Aucun ne le savait. Il a fallu du temps et des efforts pour trouver une histoire et une façon de la raconter. Une fois qu’on a su exactement quoi leur dire, on a contacté les personnages pour leur parler de notre projet. On savait que ce premier contact était risqué, mais ils étaient tous enchantés de participer, et d’apprendre que les images qu’ils pensaient disparues existaient encore.
Snap montre des foules en train de faire justice elles-mêmes. Comment s’explique cette violence ? Est-elle réprimée par la loi ?
Ces derniers temps, au Chili, le problème de la criminalité a été largement instrumentalisé dans les campagnes électorales. Pour cette raison, les gens dirigent leur colère contre les pickpockets, les voleurs de téléphone portables, etc. Ces « détentions citoyennes » ont eu lieu dans tout le pays et se retrouvent sur YouTube. Les gens attrapent eux-mêmes les délinquants, mais malheureusement, cela réveille souvent la violence qui est en eux et se termine en général par des passages à tabac et des humiliations. Ces actes ne sont pas autorisés par la loi mais ne sont pas punis non plus. Les gens considèrent qu’un délinquant est immédiatement déchu de ses droits.
Combien de temps a duré la collecte de snaps et quelle quantité de rushes aviez-vous ?
On a enregistré chacun des quarante personnages qu’on suivait tous les jours pendant un an. C’était donc considérable, mais au bout de cinq mois, on a démarré le montage. Notre méthode de recherche et de montage a rendu ce long processus moins fatigant.
Y a-t-il des libertés que le format court vous a apportées ?
On était très libres quand on a travaillé sur la matière première, mais c’est cette liberté qui s’est avérée difficile. On avait un format nouveau, très court, des qualités d’image très disparates et des sujets très divers. Rétrospectivement, je me dis qu’au montage, on aurait pu miser davantage sur le rythme des histoires, leur temporalité, et qu’on aurait pu ajouter des images provenant d’autres sources du Web, pas seulement Snapchat.
Si vous êtes déjà venu, pouvez-vous nous raconter une anecdote vécue au festival de Clermont-Ferrand ? Sinon, qu’en attendez-vous ? C’est intéressant de se retrouver en catégorie Labo et d’avoir l’occasion de rencontrer les 24 projets qui participent, d’échanger sur le langage cinématographique de chaque court métrage. Dans un tel contexte, on aimerait aussi avoir des retours sur Snap, savoir ce qui a du sens pour les autres et ce qui n’en a pas.
Pour voir Snap, rendez-vous aux séances de la compétition Labo L4.