Goûter avec Sol del Llano (Soleil des plaines)
Entretien avec Manuela Irene Espitia, réalisatrice de Sol del Llano (Soleil des plaines)
Qu’est-ce qui vous a inspiré l’histoire de cette mère et de ses deux enfants ?
Au moment où je suis devenue mère, j’ai perdu ma cousine. C’était très dur sur le plan émotionnel, et j’ai ressenti le besoin de faire un nouveau film. J’ai tenu à tourner le film chez mes grands-parents, dans les plaines de Colombie, où j’avais passé de nombreux étés avec mes cousins. Le film lui est dédié et il est imprégné de nos souvenirs d’enfance.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans ces relations familiales ?
D’abord, je m’intéressais surtout à la complicité tacite entre la petite fille et sa grand-mère. Cette partie du film venait d’une anecdote que m’a racontée un ami sur son enfance ; mais en écrivant le scénario et en visitant la maison, la souffrance de la mère vue par les yeux de la petite fille est passée au premier plan. Au final, le film parle surtout du regard des enfants sur les crises que traversent les adultes, et de leur façon de faire face à ces périodes inattendues qui changent leur perception des choses.
Pouvez-vous nous en dire plus sur l’histoire de la petite fille, Meli ?
L’histoire du personnage n’a pas d’importance, et si j’en parle, je serai obligée d’inventer. Je pense que les films sont des entités indépendantes qui forment un tout, et c’est au spectateur de compléter les éléments qui lui manquent. Quand on est face à un film aussi ouvert, qui n’explique ni l’origine ni les motivations des personnages, qui ne propose pas de justification à ce qui se passe, il n’est pas question de porter un jugement moral ; c’est une expérience cinématographique enrichie mentalement par chaque spectateur, à sa façon, avec son propre vécu et sa propre interprétation des choses.
Que voudriez-vous que le spectateur en retire ?
Je souhaite susciter une émotion par le biais de l’empathie. Pour moi, l’émotion dans l’art est quelque chose qui pousse à réfléchir sur ce que l’on vit soi-même. Ce que je souhaitais principalement, c’était de faire un film qui parle de la dureté et de l’importance de l’amour. Il y a aussi le thème de la nature, qui joue un rôle très différent, même si ses mécanismes sont inatteignables par l’être humain, on peut voir dans le film un certain parallèle entre l’amour et la nature.
Diriez-vous que le format court vous a donné une certaine liberté ?
Il m’a surtout donné la possibilité de faire des films. C’est un format génial, dans lequel on peut maîtriser entièrement tous les aspects de la production, et en cela il octroie une liberté indispensable pour donner libre cours à la créativité. Dans Sol del Llano, le chef opérateur et moi-même étions aussi producteurs, et comme nous tournions chez mes grands-parents et aux alentours, la plupart des décisions étaient entièrement entre nos mains. C’était un travail très exigeant, mais on a pu changer le plan de tournage quand des obstacles se sont présentés, et ça m’a aussi donné la liberté de modifier des choses dans l’histoire au fur et à mesure. On était aussi libres de tourner telle ou telle scène quand ça nous arrangeait, en s’adaptant aux acteurs non professionnels et à leur évolution au fil du tournage, et grâce à la contribution généreuse de la seule actrice professionnelle, Javiera Valenzuela, qui joue le rôle de la mère. C’était un exercice en interne, qui nous laissait un maximum de liberté. Comme nous n’avions pas d’assistant réalisateur, nous nous réunissions à la fin de chaque journée avec le producteur exécutif pour préparer la journée suivante, en prenant en compte combien de pages et de scènes il fallait boucler pour finir dans les temps.
Quelles sont vos références cinématographiques ?
Au fil des années, il y a eu plein de films qui m’ont marquée et m’ont accompagnée dans mon apprentissage de la réalisation. Je peux citer Gasman de Lynne Ramsay, Les 400 coups de Truffaut, Mouchette de Bresson, Salaam Bombay! de Mira Nair, Où est la maison de mon ami ? de Abbas Kiarostami et Le ballon blanc de Jafar Panahi. Ils sont tous remarquables, car ils plongent le spectateur au cœur des difficultés des enfants qu’ils mettent en scène.
Pour voir Sol del Llano (Soleil des plaines), rendez-vous aux séances du programme I14 de la compétition internationale.