Breakfast avec Sophiloscope
Interview de Daisy Sadler, réalisatrice de Sophiloscope
Comment avez-vous eu l’idée de réaliser Sophiloscope ?
Le film est inspiré par la mort brutale d’une camarade de classe quand j’avais 13 ans.
L’intégralité du film se déroule dans les lieux de l’école et ne montre que les échanges entre les adolescents, pourquoi avez-vous choisi « d’enfermer » ainsi vos personnages ?
Je voulais montrer à quel point les élèves étaient livrés à eux-mêmes et souligner l’impuissance des adultes face à un événement aussi tragique. Et cela, en restant dans l’enceinte du collège, là où l’on est censé apprendre les maths et le français. Mais il n’y a pas de prof pour leur apprendre, il n’y a plus d’adulte pour leur dire comment faire. Alors ils déambulent dans leur quotidien : dans la salle de classe, la cantine, le gymnase… et ils se toisent, se jugent. Qui a le droit de pleurer ? Qui souffre le plus ? Qui ne devrait pas souffrir ? Les “enfermer“ dans le collège me permettait donc de souligner la dichotomie entre leurs corps qui continuent de vivre aspirés par la routine de la vie et leur monde intérieur qui semble s’être arrêté.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans le rapport au deuil ?
C’est la question de comment vivre avec la certitude de la mort. Faut-il vivre en pleine conscience de la mort comme le fait Zoé, l’éviter comme Alice, ou en rire comme Sarah ?
Car, au-delà de la souffrance que provoque la mort de leur amie, le film dépeint leur lutte pour faire face à cette terrible et absurde réalité alors qu’elles tentent à la fois de s’y confronter et de l’oublier.
Il m’a semblé qu’en centrant le film sur Alice plutôt que sur Zoé, vous allez au-delà de la question du deuil. Que cherchiez-vous en particulier en faisant d’Alice, et non de Zoé, votre personnage principal ?
Je voulais montrer les différentes zones de répercussion du “deuil“. Zoé a perdu sa meilleure amie. Elle souffre de la violence de la disparition et de la lente réalisation qu’elle ne verra plus Sophie. C’est un deuil que nous connaissons et que nous comprenons. Ce qui m’intéresse chez Alice, c’est que sa souffrance est plus diffuse et plus bordélique. Elle ne réalise pas tout de suite la mort de Sophie. Elle souffre parce que Zoé souffre et qu’elle ne trouve pas les mots pour l’aider. Elle ne trouve plus sa place. Elle devient jalouse de l’attention portée à Zoé et à Sophie. Elle voudrait qu’on passe à autre chose, elle voudrait que la mort n’existe pas.
Il y a dans Sophiloscope une séquence très marquante bien que très furtive où Alice finalement perd pied, à sa manière. Comment avez-vous pensé à intégrer cette séquence et qu’est-ce qui vous intéressait dans ce moment-là précisément ?
Au début du film Alice est dans l’observation à la recherche du “sentiment juste“. Elle a peur qu’on l’accuse de ne pas pleurer, de ne pas souffrir ou de trop souffrir. La peur du jugement des autres anéantit ses propres sentiments. Pendant tout le film, elle cherche sa place dans l’échelle de la souffrance, dans l’échelle du deuil. Soudainement à la fin, tout ce bouillonnement d’émotions jaillit sous forme de colère. Ce qui m’intéressait c’est qu’Alice fasse ce qu’elle cherche à ne pas faire : perdre le contrôle.
Quels ont été vos coups de cœur au cinéma cette année ?
J’ai eu un bébé en 2015 et un autre en 2016 alors en ce moment c’est plus Oui Oui à la ferme que Bergman ! J’ai été très impressionnée par la mise en scène de L’économie du couple de Joachim Lafosse, par la beauté de La tortue rouge, l’énergie et le féminisme de Divines et le sens de l’absurde du film de Maren Ade dans Toni Erdmann. Et parmi les très nombreux films que j’ai ratés cette année, j’ai hâte de voir Aquarius, Swagger d’Olivier Babinet, Baccalauréat de Cristian Mungiu…
Si vous êtes déjà venue, racontez-nous une anecdote vécue au Festival de Clermont-Ferrand ? Sinon, qu’en attendez-vous ?
C’est la première fois que je viens à Clermont-Ferrand, et je suis infiniment heureuse et honorée de pouvoir y présenter mon film. Je me réjouis de découvrir de nouveaux univers, de nouvelles façons de voir le monde grâce à tous ces films venant d’horizon divers. Et pouvoir rencontrer, échanger et parler encore et encore de mon sujet préféré : le cinéma !
D’autres participations sont-elles prévues durant le festival (rencontres, expressos, etc.) ?
Il y aura une rencontre avec le public au cinéma Le Rio le mardi 7 février de 19h à 20h (après la projection du programme avec mon film, 17h-19h).
Pour voir Sophiloscope, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F6.