Goûter avec Swatted
Interview de Ismaël Joffroy Chandoutis, réalisateur de Swatted
Comment avez-vous eu connaissance du phénomène des « swatters » ?
En 2015, j’ai découvert le phénomène en direct. Je m’intéressais à l’époque au let’s play, une pratique issue du jeu vidéo qui consiste à se filmer en direct (gamestream) et commenter sa partie. Ce qui m’a intrigué, au-delà de l’arrestation violente, c’est l’étrange télescopage entre les écrans : l’action du jeu, où le joueur incarnait un swat, et l’intervention des swats dans la chambre du joueur (filmé par la webcam). C’était comme si les Swats étaient littéralement sortis de l’écran.
Êtes-vous intéressé par la question des dangers d’Internet et des réseaux virtuels et envisagez-vous de réaliser d’autres films autour de cette question ?
Dans mes films, je m’intéresse aux frontières entre le réel et le virtuel. Aujourd’hui, cette intrication est telle qu’on ne peut plus vraiment séparer ces deux réalités. On est en pleine réalité virtuelle. De nouveaux possibles s’ouvrent à nous, tout comme de nouvelles problématiques telles que l’évolution de nos rapports à nos données privées, à l’intime. Ce que j’aime aborder, c’est l’envers du décor, la face cachée de cette course au progrès technologique. L’impact de ce “progrès” est souvent minimisé par la politique et la publicité au profit d’une sacro-sainte croissance. Mais j’essaye toujours de mettre en scène ces sujets dans une recherche sensitive et poétique.
Comment avez-vous obtenu les voix enregistrées en tant qu’appels du 911 ?
Il faut bien chercher sur le web… je n’avais pas tout au départ, certains Swatting sont arrivés en cours de montage. L’actualité nous a donc fait changer plusieurs fois la structure narrative. Autant dire qu’il fallait être très flex. Je pense qu’en dehors du Fresnoy, ce genre de film est impossible à produire.
Concernant les témoignages de victimes ayant été « swatted », avez-vous enregistré leurs voix ou sont-ils publiés en ligne ?
De façon assez étonnante, les personnes swatées publient souvent elles-mêmes des vidéos où elles racontent ce qui leur est arrivé. Dans certains cas il s’agit de témoigner pour prévenir du danger, faire part de leur harcèlement. Dans d’autres cas, on peut se demander si l’événement n’est pas une aubaine à gagner des abonnés, des vues et donc de l’argent. Il y en a même qui organisent des faux swatting… Difficile de s’y retrouver là-dedans. Quant à savoir ce qui est enregistré ou publié en ligne, je vous laisse deviner. À chaque fois, les spectateurs se sont trompés…
Avez-vous fait des recherches auprès des services de police et du SWAT pour connaître leurs procédures et leurs réactions à ce phénomène ?
Je crois que je pourrais intégrer les SWAT tellement je connais le protocole ! Les procédures aux US, c’est de continuer jusqu’au bout même si on sait que c’est un canular. C’est pour ça que c’est violent et absurde à la fois. Concernant leurs réactions, ils sont bien évidemment agacés par le phénomène qui coûte beaucoup d’argent à chaque intervention et comporte des risques importants. Le 28 décembre 2017, un innocent est mort à cause d’un Swatting.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans les séquences virtuelles où les bâtiments peuvent être représentés uniquement par leurs lignes architecturales ? D’où proviennent ces images ?
C’est un film qui s’est fait uniquement à travers Internet. Pour tresser la mise en scène, je voulais utiliser les mêmes outils que les personnages de mon film, les streamers. Le montage est ainsi un collage d’images webcam et d’images de jeux vidéo qu’on a généré et enregistré via un logiciel de stream. Mais je ne voulais pas simplement utiliser un jeu pour illustrer. Je voulais que son univers soit en phase avec mon sujet. J’ai alors décidé de travailler avec des développeurs amateurs pour “hacker” le jeu et enlever la plupart des textures sauf les lumières et la végétation. Je voulais garder un aspect ni tout à fait réaliste, ni tout à fait virtuel. Ce rendu filaire agit donc comme une métaphore du web.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Pour un court, je crois qu’il est plus facile de partir sans scénario, comme ça a été le cas ici. Ce que je souhaite, c’est qu’on puisse produire davantage de longs métrages à partir d’une intuition. On n’a pas besoin de scénarios, on a besoin de paradoxe. C’est pour ça que les courts innovent. Ça peut paraître absurde, mais on devrait même produire des films à partir d’une image ou d’un GIF. Pour ça, on devrait avoir plus de gens comme Pierre Braunberger dans la production française. Si la relève existe, je suis client.
Pour voir Swatted, rendez-vous aux séances de la compétition labo L1.