Dîner avec The Sacred Disease
Entretien avec Erica Scoggins, réalisatrice de The Sacred Disease
Pourquoi vouliez-vous parler des maladies incurables ?
Incurables, chroniques ou inexplicables ? The Sacred Disease est basée sur mon expérience d’épilepsie temporale, des crises partielles dans la partie du cerveau qui contrôle la mémoire et l’émotion. Un “dysfonctionnement” dans cette zone cérébrale provoque d’étranges épisodes constitués de symptômes bizarres – un sentiment de déjà-vu ou de jamais-vu, des troubles de la perception, un soudain débordement d’euphorie ou d’angoisse, des pensées automatiques ou forcées, une étrange de la peau, des hallucinations olfactives et auditives, etc. Je dirige toute personne qui souhaite plus d’informations sur cette pathologie vers notre site : www.ericascoggins.com/the-sacred-disease.
Pour résumer, ces moments extrêmes (peu importe à quel point ils sont angoissants) étaient si puissants et surnaturels que cela m’obsédait de re-créer cette émotion longtemps après que les médicaments l’aient stoppée. Je suis une artiste d’aussi loin que je me souvienne mais à un moment je ressentais le besoin que mon travail progresse, raconte des histoires et émette des sons. Après la survenue de ces crises durant mes années d’université, je savais que le cinéma était l’unique moyen de tirer profit de la magie de cette expérience perdue.
Selon vous, quand est-ce que la personne qu’on a connue meurt ? Peut-on encore respirer tout en étant déjà mort ?
On s’étouffe soi-même tout le temps – par des distractions futiles, le déni ou la drogue. Pour moi et pour Angie, les médicaments qui étaient supposés nous faire aller “mieux” ont en fait tué une partie fondamentale de nous-même. Les médicaments utilisés pour contrôler ces crises sont souvent les mêmes que ceux utilisés pour traiter les troubles bipolaires. Ces stabilisateurs de l’humeur vous mettent sous une chape de plomb, bloquant les crises mais aussi toute autre sorte de réponse ou d’émotion intense. Pour quelqu’un qui a un trouble de l’humeur, tout devientfade, ordinaire, sans importance. Le corps semble lourd et sans valeur.
C’est une sorte de mort particulière – dans laquelle il faut continuer à te lever tous les matins et faire semblant de ressentir quelque chose. Quand Kyla Ledes (l’actrice qui joue Angie) est venue auditionner, on a passé une demie-heure à parler des médicaments et de ses effets secondaires. Elle souffre de migraines chroniques et de ses médicaments, qui apportent leur propre lot de problèmes de perception et de problèmes physiques. La façon dont elle a été capable de traduire mes directives parfois ésotériques à travers son corps m’a fait savoir qu’elle était celle qu’il me fallait pour ce rôle Ce sujet devait être abordé au-delà des mots et elle parlait cette langue. Une partie de nous meurt tout le temps. The sacred disease est en quelque sort un chant funèbre..
Pourquoi étiez-vous tellement intéressée par le crépuscule et comment avez-vous travaillé la lumière ?
Le crépuscule représente le présage de la nuit. Il est empreint de désir, appréhension, suspicion. J’associe ce moment de la journée avec ceux qui précèdent une crise; il crée une aura où la perception glisse et où l’on ressent cette sensation inexplicable que quelque chose va débouler. Le parcours d’Angie du matin à la nuit représente l’état sous médicament, la période de sevrage et le glissement de la lumière à l’obscurité – où la réalité n’a plus d’importance. Comme la durée du crépuscule est très fugace, nous avons souvent tourné de jour et modifié la couleur en post-prod. Cela ajoute aussi au surréalisme de l’image puisque les couleurs et les lumières sont légèrement atténuées par cette méthode. Mon chef op, Albrecht Von Grünhagen, et mon chef électro, Jonathan Béneteau (tous deux habitant Berlin), sont des magiciens Lumière. Ils ont orchestré et capturé les spectaculaires compositions de ma région de l’Est du Tennessee.
Comment avez-vous eu l’idée de traiter de problèmes psychiques ?
J’ai toujours été fascinée par le cerveau – ses capacités, ses mystères, comment il peut se retourner contre nous. Je pense aussi qu’il y a un grand pouvoir dans ce que la société condamne et stigmatise. Nous sommes supposés exister dans les limites d’un spectre défini et au lieu de reconnaître les dons et capacités de ceux qui sortent de ce spectre, nous ne voyons que leurs différences et essayons de les réparer avec la thérapie et la médication. Bien sûr, je souhaite à tout le monde d’être en pleine santé, en sécurité et de vivre une vie bien remplie et en fait les personnes qui ont des maladies mentales et des pathologies neurologiques souhaitent souvent cette normalité. Mais avec le film, on explore le fantasme de vivre au-dehors et de faire l’expérience de qui nous sommes originellement, sans les médicaments. On peut se demander : est-ce un don, une malédiction, un pas dans l’évolution ? Peut-être que ce n’est même pas si simple.
À quel point vouliez-vous aborder la question de la liberté et du contrôle sur son propre esprit ?
Nous montrons la seule véritable liberté qu’on puisse jamais espérer. Le seul contrôle qu’on a, c’est la façon dont on réagit à une situation donnée – émotionnellement et physiquement. Ce qu’elle a de terrifiant c’est la perspective de « perdre la tête ». Le contrôle est alors révolu car notre perception de la réalité est faussée. La plupart des gens fonctionnent sous une sorte d’illusion – à propos du monde qui les entoure ou d’eux-mêmes – mais ils restent dans ce spectre de la normalité. Les hallucinations et les réponses illogiques aux stimuli mettent certaines personnes en dehors du spectre. Dans la plupart des cas, la médication permet de retrouver le contrôle. Toujours, on en revient à cette question de la médication – quand est-elle nécessaire et quand sommes-nous en train de renier notre vraie nature ? Chacun d’entre nous doit répondre à cette question par lui-même.
Pensez-vous que la contrainte est un emprisonnement ou un salut ?
Nous devons estimer la nécessité de modération dans tous les aspects de notre existence. Une bière de moins ce soir est un petit soulagement pour demain. Dans mon cas, ne pas traiter les crises pourrait endommager mon cerveau et empirer ces crises en intensité et en dangerosité. La contrainte est un sacrifice, je supprime volontairement les expériences les plus extraordinaires que j’ai jamais vécues dans ma vie. Je suis sans cesse nostalgique de ces sensations. Mais si je n’avais pas commencé de traitement, je n’aurais pas pu faire ce film ni aucun autre. Avoir un bâillon sur la bouche vous oblige à amplifier votre voix.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Le premier montage de The Sacred Disease durait 50 minutes. Au final on arrive miraculeusement à 28 minutes, mais ça me démange clairement de faire un long. Le format court n’est pas seulement une étape essentielle pour se construire en tant que réalisateur, c’est une pierre précieuse pour l’expérience. Cela peut être une simple scène, un seul moment de drame, l’exploration d’un espace ou d’une ambiance. Un court métrage peut se concentrer sur un style ou une teinte ou tout autre élément qui risquerait d’être englouti ou dilué dans un long. Le scénario de The Sacred Disease se dissout en une séquence-expérience qui ne pourrait probablement pas suffire à un long sans injecter plus de narration cependant. Cela ne signifie pas qu’un long ait forcément besoin d’une narration. Plutôt que ce film en particulier devait exister dans cet univers nébuleux du long court métrage. Nous avions besoin de temps pour montrer l’expérience sans le dénouement attendu. Nous laissons notre héroïne sens dessus dessous.
Si vous êtes déjà venue, racontez-nous une anecdote vécue au Festival de Clermont-Ferrand ?
Sinon, qu’en attendez-vous ?
Je n’y ai pas encore été ! Moi et l’un de mes producteurs (aussi mon partenaire dans plein de domaines) allons venir au festival cette année. Nous n’avons jamais été en France mais c’est indéniablement un Bon Vivant. Il est déjà prêt pour le vin et la nourriture. Je suis prête pour le cinéma sans fin. Mon intolérance à la lactose me met un peu sur le fil mais je remplis mes poches de suppléments d’enzyme. On est fin prêts.
The Sacred Disease concourt en compétition Labo dans le programme L1.