Lunch avec Thought Broadcasting (Transmission de pensées)
Entretien avec Nick Jordan, réalisateur de Thought Broadcasting (Transmission de pensées)
Comment vous est venue l’idée de focaliser le film sur la diffusion ?
Je voulais faire un film lié à la psychiatrie et la santé mentale depuis longtemps. Pendant plusieurs années, je me suis investi dans la création de vidéos d’études de psychiatrie et santé mentale pour une université et unité d’apprentissage en hôpital, alors on peut dire que j’ai été immergé dans le sujet. Avec les récentes révélations d’Edward Snowden, à propos des collectes massives de données par les services secrets, j’ai pensé qu’il serait pertinent de combiner une psychose paranoïaque et anxiogène avec ces questions de surveillance et d’espionnage. Le film se base sur des rapports réels d’un désordre schizophrène appelé ‘Vol de la pensée’, dans lequel la personne croit que ses pensées sont transmises et écoutées par des tiers.
Pouvez-vous nous en dire plus sur votre choix de lieux de tournage ?
J’ai été frappé par la prolifération des antennes de téléphones portables dans les paysages urbains comme ruraux. Il y en a maintenant partout, et elles sont devenues presque invisibles à nos yeux au quotidien, malgré leur taille massive. La plupart des antennes ont été filmées depuis ma ville d’origine, Manchester. J’ai aussi filmé dans un studio de télévision abandonné et un centre d’études psychiatriques en fonction – c’est là qu’on a tourné les séquences interprétées. L’autre lieu de tournage principal est Menwith Hill, dans le Yorkshire. C’est une base militaire qui est réellement dirigée par la NSA Américaine (National Security Agency), avec ces grands radômes blancs pour empêcher l’écoute et l’interception de messages.
Pourquoi avez-vous choisi d’ajouter une voix-off ?
Je travaille en général plusieurs couches de sons, combinant voix-off, sons originaux, sons d’ambiance et la bande-son réalisée par Lord Mongo. C’est une technique de collage et je suis intéressé par la façon dont une image peut être altérée par l’addition ou la manipulation du son. Le son a un pouvoir de transformation, dans un sens que seul le cinéma peut générer, je pense. La voix-off est essentiellement faite du témoignage d’un patient joué par un comédien, et je voulais un intérêt visuel plus grand, je voulais aussi contraster ce visuel par un paysage plus large et extérieur. Je ne voulais pas utiliser de comédiens en fait, je voulais que les voix aient une tonalité très naturelle, plutôt que de donner à entendre une interprétation dramatique. Alors je suis reconnaissant à mes amis qui ont fait un si bon travail, Alan Creedon qui joue le patient et Adele Jordan et Andrea Zapp, les psychiatres. Ma collègue artiste Clara Casian sert de support au technicien audiovisuel dans le film, qui observe et consigne l’enregistrement.
Comment avez-vous travaillé les sons et les vibrations ?
Presque tout a été créé par le compositeur, Lord Mongo. Il imagine ces pistes incroyables à partir d’une nuance ou d’une de mes suggestions. Parfois c’est juste une phrase ou un mot, qui lui suffit pour allumer son imaginaire, il travaille tard le soir, l’esprit comme en transe, et fait surgir ces partitions, évocatrices et atmosphériques. Il utilise tout un éventail d’outils et d’instruments, comme un synthé MiniBrute, une guitare, une flûte, un marteau, des feuilles froissées… qu’il arrange et modèle en sa création. Et il ne regarde aucune image avant que le film ne soit terminé.
Quels sont vos attentes en tant que réalisateur ? Que souhaitez-vous expérimenter dans vos prochains projets ?
Je m’intéresse à la forme documentaire, mais dans une approche et un environnement artistiques. Aux thématiques en général questionnant les interconnexions nature, culture et histoire sociale. Aux conceptions croisées et travaux hybrides qui présentent des narrations obliques, faites de couches, photographiés en réponse directe à des lieux spécifiques, sans autre façon ou travaux préparatoires. Et mon travail émerge d’un parcours de peintre des Beaux-Arts, alors la dynamique visuelle ou la propriété unique des « images mouvantes » sont essentielles pour moi. Je m’intéresse encore à comment les genres comme la science-fiction ou l’horreur peuvent être combinés ou utilisés de manières intéressantes avec le format documentaire. Je travaille actuellement sur un nouveau film appelé Intentional Community, réalisé en collaboration avec Clara Casian. C’est un portrait documentaire de l’École de recherche sociale sur la vie communautaire Braziers Park, dans le comté d’Oxford. Avec des supports d’archives et des aperçus de l’extraordinaire maison et enceinte gothique, nous exposons des entretiens avec les résidents et les membres du collectif, qui sont modelés comme une expérience d’ « art et science du vivre-ensemble ». L’École est une structure unique et fascinante dans son organisation psychosociale. C’est aussi la structure organisatrice du festival Supernormal, où nous montrerons notre travail prochainement cette année.
Comment était le Festival de Clermont-Ferrand cette année ? Des films à recommander ?
Le festival a été une excellente expérience. Cela a été ma troisième visite à Clermont, suite à la présentation en sélection de mes précédents films The Atom Station (Station atomique) et The Rising (L’invasion). Mais heureusement cette fois, Lord Mongo a pu y participer aussi, lui qui a composé la bande sonore de mes trois films. C’était super de rencontrer d’autres réalisateurs, programmateurs, conservateurs d’art et de voir plein de courts métrages saisissants. Quelques titres à signaler pour moi : Decorado (Décor), réalisé par Alberto Vázquez, une animation incroyablement sombre, troublante et hilarante, et L’exilé du temps, réalisé par Isabelle Putod – une combinaison très intelligente et sensible d’images d’archives, de voix-off et un incroyable travail de macrophotographie. Un cinéma hyper pointu et immersif.
Thought Broadcasting faisait partie du programme de la Compétition Labo L4.