Lunch avec Tomber
Entretien avec Benjamin Vu, réalisateur de Tomber
Avez-vous écrit Tomber comme un tout ou est-il une ouverture sur un projet plus large ?
Un projet plus large était en fait une ouverture vers Tomber. En effet, avant d’écrire le court métrage, une idée pour un long métrage autour du même sujet me trottait déjà dans la tête depuis plusieurs mois. Je voulais m’intéresser à un classique littéraire et l’impact qu’il pouvait avoir sur deux garçons. J’avais au préalable conçu une histoire autour de Madame Bovary de Flaubert. Les garçons auraient effectué un road-trip en Normandie, et traversé des épreuves ensemble lors de l’élaboration de l’exposé. C’était beaucoup plus ambitieux narrativement. La fin aurait cependant été la même que dans le court métrage : ouverte, avec cet échange de regards.
Pourquoi vouliez-vous situer l’action dans les années 90 ?
Je recherchais un contexte temporel où les personnages ne pouvaient pas être facilement sollicités et distraits par les technologies d’aujourd’hui (ordinateurs, téléphones portables, etc.) et où ils seraient donc plus naturellement amenés à se retrouver physiquement pour préparer cet exposé, et véritablement discuter. De plus, étant né au début des années 1990, je voulais rendre hommage à une époque qui m’était familière et chère, quoique distante maintenant. Néanmoins, je ne voulais pas que cela prenne le dessus sur le film. En dehors de l’agenda qui indique “1994” au début, le contexte temporel, mais aussi spatial, est assez flou. J’ai notamment fait attention aux costumes, pour qu’ils fassent sens pour l’époque, sans trop être éloignés des vêtements qu’on peut porter aujourd’hui. De même, nous avons tourné en numérique, et non en pellicule, comme il aurait été peut-être plus logique de faire pour accentuer l’époque. Cet anachronisme visuel me paraissait intéressant car au final, je souhaitais qu’il y ait une intemporalité dans l’histoire et les émotions.
Comment avez-vous construit la place du silence dans les dialogues ?
Tomber est un film très bavard mais l’ambition première était d’exprimer les choses les plus intéressantes pendant les moments où les personnages ne parlent pas, et cela, grâce à l’image. Notamment en s’attardant sur des regards. Je pense au dernier plan ou à la scène où la caméra prend le temps de découvrir la réaction de Baptiste lorsqu’il écoute la musique à table. Je voulais qu’une histoire puisse se lire progressivement sur son visage. Par ailleurs, la majorité des plans du film sont fixes. Il y a quelque chose de figé et mathématique. Mais deux séquences de travellings diffèrent du reste et se font écho : au début du film, lorsque Baptiste se retourne pour regarder Léo en salle de cours, puis à la fin du film quand Léo revient dans le salon et comprend que Baptiste l’a aidé. Ce sont deux moments silencieux qui traduisent pour moi une idée de découverte, peut-être d’un sentiment amoureux. Je voulais que la caméra mette en avant ce ressenti, qui est intangible, indéfinissable.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans l’éclairage clair-obscur ?
Sans tomber dans du véritable clair-obscur, j’ai travaillé avec Maxence Lemonnier, le directeur de la photographie, pour élaborer une lumière qui plonge l’action et les personnages dans un cadre intime. La lumière est fixe, par point, et met en valeur les visages pour suspendre le temps et rapprocher les corps, comme pour déconnecter l’espace de la rencontre du reste du monde. Par les zones d’ombres et l’obscurité, nous voulions également instaurer un certain mystère afin que le film puisse avoir un léger air de film noir, presque policier. J’aime en effet cette idée que découvrir quelqu’un, c’est mener une enquête où on récolte des indices l’un sur l’autre : une parole, une intonation, un regard.
Envisagez-vous de réaliser d’autres films dans lesquels des personnages homosexuels seront représentés ?
Certainement.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apporté en particulier ?
Le format court métrage m’a apporté une liberté de simplicité et m’a encouragé à me concentrer sur l’essentiel.
Pour voir Tomber, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F9.