Dîner avec Un monde sans bêtes
Entretien avec Emma Benestan et Adrien Lecouturier, réalisateurs de Un monde sans bêtes
Comment avez-vous eu l’idée de travailler sur les manadiers et comment avez-vous trouvé les personnages ?
Adrien : Nous avons rencontré Théo dans une école du sud de la France. Il était différent de ses camarades, il rêvait de taureaux.
Emma : Je faisais une résidence d’artiste dans un collège dans le Gard et j’ai demandé à Adrien de venir pour m’aider à encadrer l’atelier-film avec les jeunes de 4eme que je suivais depuis plusieurs mois. L’atelier était autour de la question du rêve et je faisais des entretiens avec tous les élèves sur leurs rêves et leurs cauchemars. Le jour où Adrien est venu m’aider, je faisais l’entretien de Théo. Il a commencé par nous dire qu’il rêvait sans cesse de taureaux et que parfois quand il dormait, il avait peur qu’au réveil, il se retrouve dans « un monde sans bêtes ». Avec Adrien, on a été frappé par ses paroles et on l’a suivi dès le lendemain dans la manade où il était apprenti pendant son temps libre. Théo, qui était un jeune garçon si éteint en classe et si discret, en grand échec scolaire, se transformait au contact avec la nature. De là est né le désir d’un film.
Théo a-t-il réellement quitté l’école pour devenir manadier ?
Emma : Non, Théo n’a pas quitté l’école, mais quand nous l’avons suivi, pendant les vacances d’été, il était en quelque sorte en stage dans la manade de Mikaël Matray, le manadier que nous avons suivi. Aux dernières nouvelles, Théo a abandonné l’idée d’être manadier.
Adrien : Théo s’est orienté maintenant vers une section de commerce. Les taureaux représentent toujours pour lui quelque chose de magique, un espace de l’enfance.
Combien de temps a duré le tournage en tout ? Et le montage ?
Emma : Nous avons eu quinze jours de tournage sur trois semaines à la fin du mois d’août, et nous avons eu plusieurs soucis, notamment de disponibilités dues aux fêtes votives et aux multiples contraintes de tourner avec des animaux, d’autant plus avec des bêtes sauvages. Le montage a duré énormément de temps. La difficulté a été de trouver comment raconter simplement et par touches impressionnistes le devenir et les doutes de Théo qui est un adolescent pudique. L’idée du rêve, qui était à l’origine du film, est revenu à ce moment-là.
Adrien : Nous avons travaillé avec le désir de faire ressortir l’espace intérieur de Théo dans son rapport à la nature et aux animaux. L’idée était qu’il se déploie quelque chose d’invisible dans le film.
Comment avez-vous travaillé l’esthétique et les couleurs dans Un monde sans bêtes ?
Emma : Au tout départ, nous voulions tourner en pellicule. Mais économiquement, ce n’était pas possible. Nous avons alors réfléchi ensemble à un système de caméra, d’optique et de grain pour arriver à un résultat satisfaisant.
Adrien : Pour garder cette température et gamme de couleurs, la grande complexité a été de tourner toujours en décalé, c’est-à-dire que nous pouvions tourner de l’aube à 11h, puis de 18 heures à 21 heures afin d’avoir le plus souvent des lumières douces et chaudes. Sinon, la majeure partie du temps le soleil très haut écrasait les verts et donnait un contraste trop violent.
Pourquoi y a-t-il si peu de femmes dans Un monde sans bêtes ?
Adrien : La bête dans ce film est une figure. L’idée était de travailler autour du monde intérieur de Théo. L’enjeu ne se situe pas autour des hommes et des femmes. La bête est un espace métaphorique. Vaincre la bête comme vaincre ses démons intérieurs.
Emma : Le monde des manades est un milieu très particulier où le mythe de l’homme viril faisant face à la bête séduit un nombre d’adolescents qui s’inscrivent dans un « rituel ». Passer par ce rituel, c’est montrer qu’on est un « homme de taureaux ». Nous voulions dans le film interroger cette dimension-là, en créant un contraste entre le corps adolescent sec et enfantin de Théo et celui très musclé et nerveux de Mikaël qui demande à ce jeune garçon de se dépasser sans cesse, et aussi de faire face à la bête. Mais nous n’avons pourtant pas pensé en termes d’exclusion, puisqu’il y aussi le personnage de la mère.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Adrien : Le format n’apporte pas vraiment de liberté. La liberté se trouve peut-être plus dans la manière de raconter les histoires.
Emma : Mais c’est vrai que sans le format du court métrage, nous n’aurions peut-être pas pu avoir ce temps-là pour expérimenter et prendre le temps pour finir le film.
Si vous êtes déjà venus, racontez-nous une anecdote vécue au Festival de Clermont-Ferrand ?
Sinon, qu’en attendez-vous ?
Adrien : Clermont-Ferrand est un très beau festival et c’est comme un coup de projecteur pour le film. Nous souhaiterions qu’il lui permette d’être vu, apprécié et qu’il ait une vie.
Emma : Nous sommes très contents de montrer le film à Clermont-Ferrand et d’avoir la chance de pouvoir le voir dans une grande salle, avec un public !
Pour voir Un monde sans bêtes, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F10.