Goûter avec What Did You Dream? (De quoi t’as rêvé ?)
Entretien avec Karabo Lediga, réalisatrice de What Did You Dream? (De quoi t’as rêvé ?)
Quelle a été la genèse de What Did You Dream? Pouvez-vous nous parler du tournage ?
Je me suis appuyée sur un traitement visuel très détaillé, réalisé d’après mes souvenirs de ces étés du début des années 1990 passés dans la maison de ma grand-mère, dans le township de Atteridgeville, à Pretoria. Le traitement visuel devait s’accorder avec ce souvenir – une expérience pour voir ce que ma nostalgie donnerait à l’écran. Il fallait trouver une maison d’Atteridgeville qui ressemble à celle de ma grand-mère, et elles sont très rares aujourd’hui, trois décennies plus tard. Nous avons finalement tourné dans les pièces et les espaces de trois maisons différentes. De même, il fallait trouver des meubles similaires à ceux de ma grand-mère et s’assurer de ne rien montrer du monde moderne pour les scènes tournées en extérieur. Les toits du quartier sont aujourd’hui criblés d’antennes paraboliques. On a réussi à les couvrir avec des peaux de moutons. Pour les rôles des enfants, je voulais absolument des acteurs qui parlent le setswana, la langue des townships de Pretoria (où j’ai grandi). Il n’y a pas beaucoup d’enfants acteurs en général, et encore moins dans cette région. Nous avons fait un appel à casting au théâtre local, qui organise un atelier théâtre pour les enfants. J’ai sélectionné six enfants et travaillé le script avec eux pendant plusieurs semaines avant le tournage. J’en ai choisi trois, avec qui j’ai continué à répéter le script. Aucun d’entre eux n’avaient jamais joué devant la caméra, et le plus jeune n’avait même jamais joué du tout, mais tous connaissaient leur texte sur le bout des doigts, et on avait parlé ensemble du fait qu’ils devaient s’approprier le scénario. Le tournage a duré quatre jours, pendant la saison la plus chaude de l’année car avec des enfants, il fallait tourner pendant les vacances scolaires. Avec le chef opérateur (Rick Joaquim), on a planché plusieurs jours sur un plan de découpage de chaque partie du scénario, en ajoutant des marqueurs visuels, car on savait qu’on aurait peu de temps avec les enfants. On s’est préparés au maximum pour s’assurer de boucler toutes nos prises. J’ai aussi tenté, dans la mesure du possible, de tourner les scènes dans l’ordre pour que les enfants puissent suivre l’histoire au fil du tournage.
Pouvez-vous nous parler du personnage de la petite fille, Boipelo ?
Le personnage de Boipelo, c’est moi quand j’étais petite, et en substance, c’est moi aujourd’hui. Ce qui m’intéresse, c’est le fait que, si la liberté a ouvert beaucoup d’opportunités aux Sud-Africains noirs, elle a aussi créé une sorte de cassure dans la société. Tout comme Boipelo, j’avais le sentiment d’être exclue, bien malgré moi, parce que j’allais dans une école « blanche » (et non dans une école du township) et que mes parents avaient une grande maison car ils faisaient partie d’un faible pourcentage de noirs à avoir des « bons boulots ». Le mal-être de Boipelo, son incapacité à rêver et ses disputes avec son cousin Tebogo, je ressens tout cela moi-même jusqu’à aujourd’hui. Les chances que l’on m’a offertes m’ont séparée de mon milieu, et la gêne que cela a créé en moi est devenu mon thème de prédilection dans mon travail.
Votre court métrage s’inspire de vos souvenirs d’enfance de la maison de votre grand-mère. Qu’avez-vous voulu susciter chez le spectateur ? Pensez-vous que les gens vont s’identifier à cette histoire ?
Je veux proposer au public un regard nuancé sur les Sud-Africains, même dans le contexte de la fin de l’Apartheid, car si l’Apartheid a marqué notre histoire collective, nous avons aussi vécu des expériences ordinaires. Jouer, se battre dans la cour de l’école, recevoir des prix, perdre ses dents, les premières règles, les divorces… et toutes les nuits, on rêvait. Je voulais aussi raconter l’histoire d’une petite fille de 11 ans qui grandit et qui appréhende d’aller dans une nouvelle école avec des gens qui ne lui ressemblent pas, une petite fille qui doit apprendre à aller de l’avant tout en se cramponnant à ses origines, une gymnastique que très peu d’entre nous ont réussi à faire. Je pense que les spectateurs du monde entier peuvent largement se retrouver dans tous ces thèmes.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées ?
Ce format m’a donné une liberté infinie, que je n’avais absolument jamais connue avant. Je travaille comme scénariste et réalisatrice à la télévision, où l’on a très peu de marge de manœuvre car il y a tellement de décideurs qui dictent leur loi. Pour ce court métrage, mon sponsor m’a donné carte blanche pour faire exactement ce que je voulais avec l’équipe de mon choix, et ce du début jusqu’à la fin, sans jamais se mêler de rien, ce qui était pour moi un rêve qui se réalisait !
Quelles sont vos références cinématographiques ?
J’ai répertorié certains de mes films préférés qui mettent en scène des enfants. Je voulais vraiment recréer ce sentiment d’émerveillement, d’innocence et de gaité du monde des enfants, qui n’est pas le même lorsqu’ils sont en présence du monde sérieux des adultes. Je me suis également plongée dans des interviews et de la documentation sur les réalisateurs qui ont mis en scène des enfants. Les films en question : Crooklyn (1994) de Spike Lee, Mustang (2015) de Deniz Gamze Ergüven, Les bêtes du sud sauvage (2012) de Benh Zeitlin, The Florida Project (2017) de Sean Baker et We the Animals (2018) de Jeremiah Zagar. Par le traitement visuel du film, on a voulu recréer l’ambiance d’un vieil album de famille, et celle des œuvres de photographes tels que Santu Mofokeng et Gordon Parks, qui ont photographié la vie quotidienne des noirs.
Pour voir What Did You Dream? (De quoi t’as rêvé ?) rendez-vous aux séances du programme I10 de la compétition internationale.