Breakfast avec Winter in the Rainforest (Un hiver dans la forêt tropicale)
Entretien avec Anu-Laura Tuttelberg, réalisatrice de Winter in the Rainforest (Un hiver dans la forêt tropicale)
Pouvez-vous nous expliquer le titre ?
L’idée de Winter in the Rainforest m’est venue lors de mes premiers voyages dans la forêt amazonienne au Brésil et dans la forêt tropicale des montagnes de la Sierra Gorda au Mexique. J’ai eu l’idée de faire un film en stop-motion dans la nature tropicale. Je viens d’Estonie, un pays nordique dont la nature et le climat sont très différents de ce que j’ai connu sous les tropiques. Je voulais faire un film qui relie ces deux expériences et qui montre le cycle de la vie dans la nature à travers les transformations d’une saison à l’autre. À l’origine, je voulais faire un court métrage qui montrerait toutes les saisons de la nature – un été luxuriant dans la forêt tropicale, puis un hiver froid et enneigé pour créer un contraste. Puis l’idée a évolué pour devenir celle de plusieurs courts métrages distincts, chacun montrant une saison différente dans un environnement naturel différent. Winter in the Rainforest est le premier volet de cette série, et montre l’impitoyable cycle de la chasse qui se joue dans la nature durant les mois d’été. Le prochain évoquera l’automne et le début de l’hiver, et se situera sur les plages enneigées d’Estonie et de Norvège. Les gens du Nord voient les oiseaux s’envoler vers les pays chauds pour l’hiver, et Winter in the Rainforest montre ce qui arrive là où vont ces oiseaux pendant que nous traversons l’hiver.
Que souhaitiez-vous aborder avec cette chorégraphie ? Qu’est-il arrivé à la jeune fille prise au piège ?
Winter in the Rainforest est un documentaire animalier avec des créatures de porcelaine. Ces animaux de porcelaine, tout comme de vrais animaux, chassent pour se nourrir et tendent des pièges pour attraper d’autres animaux et les manger. D’autres se font manger. C’est le cycle inévitable de la nature. Vous avez raison de parler de chorégraphie. Je voulais créer un enchaînement d’actions rythmé et vivant, où chaque créature suit son propre chemin, ses désirs et ses rêves. Toutes ces actions convergent pour former une danse de la vie. La jeune fille se fait attraper mais resurgit de la toile d’araignée, et par chance, au lieu de se faire dévorer, elle est sauvée par une plante carnivore qui attrape l’araignée. La jeune fille est accompagnée par le petit oiseau blanc qui veille sur elle et chante chaque fois qu’il la voit. Pour les gens du Nord, les oiseaux portent chance car ce sont eux qui annoncent le printemps en revenant du Sud après y avoir passé l’hiver.
Parlez-nous de votre style d’animation. Comment avez-vous incorporé les figurines dans ce paysage naturel ?
J’aime la technique de l’image par image. Mais mon problème avec cette technique, c’est que l’on travaille en général en studio, c’est-à-dire dans un espace sombre où tout est maîtrisé – le but étant de tromper l’œil du spectateur pour qu’il perçoive un mouvement fluide, proche de la réalité, en dissimulant les écarts temporels inhérents à la captation image par image. J’ai réalisé deux films en stop-motion avant celui-ci. Le premier (Fly Mill) a été fait en stop-motion classique, en studio. Mais cela m’a pris deux ans : j’ai alors compris que j’aimais vraiment cette technique, mais que je ne voulais pas passer ma vie à travailler dans l’obscurité d’un studio, sans lumière naturelle. C’est pourquoi, pour mon deuxième film (On the Other Side of the Woods), j’ai utilisé la lumière naturelle pour le tournage. J’ai travaillé dans un studio doté de grandes fenêtres qui laissaient passer suffisamment de lumière du jour pour l’éclairage du film. Ainsi, tout au long du film, tandis que le spectateur perçoit la technique image par image, le monde que je crée défile en accéléré avec sa propre lumière et sa propre temporalité, comme une deuxième réalité. L’étape suivante consistait à installer mon studio en extérieur en partant tourner dans la jungle mexicaine. Tourner un film en stop-motion dans la nature donne une étrange perception de la temporalité. Les créatures de porcelaine se meuvent lentement et calmement, à leur rythme, tandis que la lumière clignote et que la nature tremble dans un mouvement de trépidation. Le spectateur a l’illusion que les animaux en céramique prennent vie, tout en étant conscient du temps qui passe dans l’arrière-plan en stop-motion. Les sauts temporels nécessaires à l’illusion du mouvement ne sont pas dissimulés. On voit défiler les heures et les jours en quelques secondes de film animé.
Pouvez-vous nous en dire plus sur la bande-son ?
La musique est très importante dans ce film, et j’ai travaillé en étroite collaboration avec la compositrice dès le départ. Maarja Nuut est une jeune musicienne estonienne pleine de talent. Elle travaille sur la musique traditionnelle estonienne, en la transformant à sa façon. Afin d’incorporer la musique et les images du film, je lui ai demandé de me faire un court morceau de musique avant d’aller filmer dans la forêt tropicale. Je me suis efforcée d’animer le film en me calant sur le rythme de la musique. Une fois les prises terminées, je lui ai envoyé le film monté pour qu’elle écrive une nouvelle composition en se basant sur le film. Le design sonore a été réalisé par une jeune conceptrice sonore lituanienne, Olga Bulygo. Je lui confié la lourde tâche de recréer les sons de cette nature foisonnante. La forêt tropicale est un lieu de dingue – bruyant, désordonné, chaotique, intense. Je voulais retrouver tout cela dans le film. La forêt tropicale n’est pas un endroit confortable pour un citadin. Il faut se détendre dans tout ce brouhaha pour arriver à l’accepter et à en profiter. Je suis très contente du son et de la musique du film.
Y a-t-il des genres, des sujets ou des styles d’animation que vous aimeriez aborder à l’avenir ?
Je n’ai pas de projets dans l’immédiat. Je travaille toujours sur celui-ci, je vais donc faire deux autres courts métrages avec les créatures de porcelaine dans la nature. Ces films formeront une année entière, avec le cycle des saisons. Avec ces films, je veux montrer que la nature est un endroit accueillant et confortable, et j’espère que les gens se rapprocheront de la nature, sans en avoir peur. Nous sommes tous très proches de la nature, nous dépendons de notre environnement, et j’espère pousser les gens à renouer ces liens. À l’avenir, je vais continuer à aborder les thèmes qui me touchent – les contés de fées et la nature. Mais je ne sais pas encore sous quelles formes. Ce sera la surprise, pour moi aussi ! Voilà ce qui m’inspire dans l’art : trouver une nouvelle matière qui donne envie de créer, trouver des formes qui annoncent le début d’une histoire.
Y a-t-il des œuvres d’art ou des films qui vous ont inspirée ?
Oh oui, bien sûr, il y en a plein. Pour les films en stop-motion, j’ai toujours adoré les films de Jan Svankmayer, notamment Alice et Jabberwocky, les films de Mati Kütt comme The Underground, et aussi Chronopolis de Piotr Kamler, etc.
Pour voir Winter in the Rainforest (Un hiver dans la forêt tropicale), rendez-vous aux séances du programme I7 de la compétition internationale.