Goûter avec Yandere
Entretien avec William Laboury, réalisateur de Yandere
Qu’est-ce qui vous intéressait dans le fait de faire intervenir une intelligence artificielle de compagnie plutôt qu’une ex-petite amie maîtrisant Siri, Cortana ou Alexa à distance ?
L’idée d’une intelligence artificielle de compagnie m’intéresse depuis que j’ai vu une pub sur ce genre de petites amies holographiques au Japon. Immédiatement, on se demande à quoi elle pense quand elle attend son propriétaire toute la journée, enfermée dans sa boîte. La différence avec un Siri ou une Alexa, c’est que ce genre de personnage a un visage : on y projette tout de suite des choses, on a une empathie immédiate, tout en sachant que c’est un programme. Je me suis alors demandé comment un personnage de ce type vivrait le fait de se faire larguer.
De manière générale, vous questionnez-vous sur l’impact que le développement des IA peut avoir sur l’Humain ? A quel point êtes-vous intéressé par ces nouvelles technologies ?
Pour le personnage de Maïko, ce n’est pas tant son caractère d’intelligence artificielle qui m’intéressait, mais plutôt ce qui en découle : sa dépendance affective. Maïko ne connait que son propriétaire, il l’a achetée, l’a programmée, donc elle est obligée de l’aimer. Elle ne se pose pas la question, c’est juste son rôle. Il peut nous arriver de vivre ce genre de situation nous-mêmes, surtout au moment d’une rupture, où le monde semble s’écrouler. Pour moi la technologie était le moyen de parler de ce sentiment, amplifié x1000 chez Maïko, parce qu’elle n’a que ça, l’amour.
Quelle est votre relation au Japon ?
Deux de mes courts se rattachent au Japon mais pour des raisons différentes : en faisant Hotaru, j’étais imprégné des films de Chris Marker et le Japon représentait quelque chose de très exotique et inconnu pour moi, qui collait bien avec la rencontre qu’y fait Martha. Yandere se rattache au Japon car les personnages virtuels y ont une place importante, et c’est peut-être lié à la culture animiste du Japon qui investit facilement les objets d’une âme. Et puis il y a la culture manga, qui m’a inspiré l’idée de la « yandere » : un archétype de personnage féminin, si jalouse qu’elle en devient violente.
Comment avez-vous travaillé sur la première partie du film, où le personnage principal semble très isolé ?
Cette introduction en flashforward, où on voit Maïko humaine, perdue dans une décharge, permet de nommer Maïko personnage principal. Car ensuite on revient en arrière et on la voit sous forme d’hologramme un peu stupide. L’intro nous aide à projeter des pensées et des émotions dans cet hologramme, car on sait qu’elles sont en germe au fond d’elle, que quelque chose va bientôt éclore des pixels.
En quoi la question de l’effet poupées russes (ou domino ?) (IA conseillée par une autre IA) vous intéressait-elle ?
L’hologramme aux cheveux rouges que Maïko rencontre crée un effet de miroir. C’est comme quand on fait se parler deux Siri, c’est une situation anormale, et leur conversation devient absurde. La « petite Maïko » est encore conditionnée par son rôle d’IA, ce qui fait qu’elle incarne une forme de pression sociale sur Maïko qui s’est affranchie, en lui disant : « Ton rôle n’est pas de vivre ta vie, tu dois retrouver ton amoureux, ta place est avec lui ». Elle est le petit démon sur l’épaule de Maïko, sa mauvaise conscience.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Je trouve que le court-métrage n’apporte pas tant des libertés que des choix spécifiques. Yandere est assez sec et elliptique, il a une forme de conte, qui fait qu’on passe de scènes dilatées à des accélérations qui ont un autre régime de narration. Toute l’histoire d’amour de Maïko est Tommy est montrée dans le générique de début par exemple. La forme courte est autant une contrainte qu’une opportunité je trouve, elle impose en tout cas d’affirmer ses choix.
Quelles sont vos œuvres de référence ?
Elles sont différentes selon les périodes, mais pour Yandere j’ai été inspiré par Toy Story, le manga Miraï Nikki, le personnage de la fée clochette (qui est une pure yandere), Air Doll de Kore Eda, la manière dont Blade Runner 2049traite le personnage virtuel, la liberté de ton de Love Exposure de Sono Sion, l’ambiance nocturne et adolescente de The Myth of the American Sleepover.
Pour voir Yandere, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F4 et à la séance scolaire.