Lunch avec Niebieski Pokój (Une chambre bleue)
Entretien avec Tomasz Siwinski, réalisateur de Niebieski Pokój
Pourquoi avez- vous choisi de réaliser Niebieski Pokój ? Y a-t-il une part de documentaire dans le texte ou est-ce complètement de la fiction ?
Voilà quelques années, j’ai rencontré Ron Dyens, de Sacrebleu Productions, au festival du film d’animation de Zagreb. Il avait apprécié mon film de fin d’études et il avait envie de travailler avec moi sur un nouveau projet. C’est là que je lui ai proposé l’idée de Niebieski Pokój. À l’époque, le projet avait un côté plus expérimental. Durant la phase de création, c’est devenu un film narratif. Mais ce n’est pas tout à fait une narration classique. Je me suis partiellement inspiré de mon expérience personnelle. Mon père a été dans le coma quelque temps avant de mourir. Cela m’a amené à réfléchir sur cet état. Est-ce que la personne entend ? Que devient son esprit ? J’ai pensé que le cinéma serait un bon moyen d’exprimer cela – cet état de latence entre la vie et la mort. Il permettrait de faire vivre une expérience similaire au spectateur.
Que représente le bleu ? Qu’est-ce qui vous a poussé à placer cette couleur au centre de votre film ?
Dans beaucoup de cultures, le bleu est lié au monde spirituel. Mais en fait, c’était un choix plutôt intuitif. Je trouvais qu’il y avait quelque chose d’étourdissant dans l’idée d’une pièce bleu vif. Ça lui donne une froideur un peu spirituelle.
Pour vous, la chambre bleue est-elle fermée ?
Malheureusement, je n’ai pas la réponse à cette question. Chacun de nous doit percer le mystère tout seul.
Quelles sont les techniques d’animation que vous avez utilisées ?
C’est la peinture qui donne au film son rendu final. Chaque plan a été peint sur verre.
Mais avant cette étape-là, nous avons fixé les grandes lignes de l’animation et de la scénographie sur une application 3D. Après l’étape de la peinture, le film était noir et blanc. La couleur et la composition ont été entièrement réalisées par ordinateur.
Niebieski Pokój joue avec nos sens. Les sons et les visions s’entremêlent ou s’entrechoquent. Comment avez-vous travaillé cette approche ?
Je voulais que le protagoniste soit un artiste. C’est un musicien, peut-être un compositeur, on ne sait pas vraiment. Je voulais que la bande son exprime ses goûts musicaux. La musique et le son représentent un autre élément de cet univers où tout semble décalé. Au fil de l’histoire, le héros finit par comprendre ce qui se passe. Mais au début, les images oniriques qui défilent devant lui sont toutes mélangées, comme des reflets de sa conscience ou de son passé. Voilà ce que je voulais montrer : un enchevêtrement de musique, de sons et d’images.
Il y a cette scène où le cadre vibre, comme si la caméra était déplacée à la manivelle… Pourquoi avez-vous mis cet effet, et comment ?
Peut-être qu’il s’agit d’un élément du passé du personnage – il s’est peut-être retrouvé coincé dans un ascenseur un jour, difficile à dire. Dans les rêves on voit souvent surgir des éléments qui paraissent hors sujet et pourtant, ils ont une fonction. C’est ça que je voulais suggérer.
Côté technique, on a créé, à la base, une ville en mouvement sur une application 3D. Puis tous les plans ont été peints sur verre. L’effet de vibration vient du fait que tous les plans ont été peints séparément. C’est cette scène qui nous a pris le plus de temps.
La fenêtre tient également une place prépondérante. Niebieski Pokój semble montrer toutes les nuances que peut évoquer la fenêtre. Pourquoi avoir choisi de développer cet élément ?
La fenêtre est le seul point de contact entre le personnage et le monde extérieur. Toutes les informations passent par elle. Je voulais créer un parallèle : la pièce est l’esprit du personnage, et ce qu’il y a de l’autre côté de la fenêtre représente une réalité qu’il ne peut pas atteindre. L’état que je voulais suggérer par cette métaphore n’est pas seulement celui des gens dans le coma. Je pense que beaucoup d’entre nous sont tourmentés par le fait qu’on ne peut pas s’échapper de son corps, qu’on est enfermé.
En préparant le film, avez-vous fait des recherches sur le cerveau humain et les questions neurologiques qui tournent autour des souvenirs et des sensations ?
Oui, et à mon avis, la science ne nous apprend pas grand-chose à ce sujet. Il existe des études, mais d’après ce que je sais, on ignore beaucoup de choses sur le fonctionnement de l’esprit d’une personne qui est dans le coma. Le diagnostic de mort cérébrale est d’ailleurs controversé car on a vu des patients se réveiller quand même. En fait, les souvenirs de ces personnes qui se réveillent peuvent nous en apprendre bien plus que la science.
Niebieski Pokój est une production française. Selon vous, dans le court métrage, qu’est-ce que la production française apporte que les autres n’ont pas ?
En France, il y a une grande tradition du cinéma d’auteur. La voix du réalisateur est entendue clairement. Cela permet d’avoir des films d’une grande originalité, qui transcendent la narration classique et stimulent le spectateur. Il me semble qu’il y a en France un sentiment de responsabilité dans la défense d’une certaine tradition du cinéma, où il est Art.
Pour voir Niebieski Pokój, rendez-vous aux séances de la Compétition Nationale F7.
L’info en + Le film sera bientôt montré dans les festivals suivants :
– 9e Festival international d’animation de Téhéran (en compétition), mars 2015
– Festival International du Film d’Aubagne (en projection), Aubagne (France), mars 2015
– Festival du court métrage Ciné Poème (en compétition), Bezons (France), mars 2015