Lunch avec Gaidot Jauno Gadu (En attendant la nouvelle année)
Entretien avec Vladimir Leschiov, réalisateur de Gaidot Jauno Gadu (En attendant la nouvelle année)
Pouvez-vous nous parler de votre style d’animation et de vos choix artistiques ? Pourquoi un film sans dialogues ? Comment avez-vous choisi la musique ?
Je suis un artiste avant tout et je connais bien les différentes techniques d’animation. J’ignore si j’ai un style spécifique pour mes films, vu qu’ils sont tous très différents, visuellement du moins. On m’a dit qu’il était impossible de savoir s’ils avaient été réalisés par la même personne. Depuis mon tout premier film, j’ai découvert que je pouvais utiliser mes compétences pour trouver l’approche visuelle la plus appropriée à chaque histoire – aquarelle, pastels, peinture à l’huile, acrylique, encre ou même thé noir. Je n’aime pas les dialogues dans les films d’animation. L’animation parle d’elle-même, sans limites d’expression, si bien que l’on peut faire passer beaucoup de choses par le langage du mouvement, par une métaphore, etc. Pour moi, les dialogues ou la voix-off sont superflus dans l’animation. Et puis ça crée des problèmes de traduction, car certaines choses sont intraduisibles à cause des différences de culture, d’humour etc. Et le public peut comprendre de travers. Charlie Chaplin a dit quelque chose comme ça, il expliquait pourquoi il n’aimait pas les dialogues au cinéma. Je préfère de loin la musique. On peut en dire bien plus avec la musique, je trouve. Je bosse avec d’excellents compositeurs et je leur fais confiance. D’habitude, j’expose d’abord mon idée au compositeur, car c’est trop difficile de comprendre ce que je veux dire en regardant le film d’emblée. Parfois j’explique mes préférences en termes de style de musique, je donne des exemples. Mais en général, je leur donne quartier libre (jusqu’à ce que je sois satisfait du résultat !). J’ai toujours dit que travailler sur un film d’animation et sa bande son, c’est comme faire la cuisine – équilibre, texture, goût et… arrière-goût, bien entendu. Le film doit vous laisser une impression et vous donner envie de le revoir pour y trouver des détails qui vous ont échappé.
C’est une histoire très émouvante. D’où vient-elle ? Avez-vous été inspiré par des faits réels ?
C’est l’histoire du temps qui passe, je pense. Arrivé à un certain âge, on se rend compte que le temps passe de plus en plus vite chaque année. On se dit qu’il y a plein de choses qu’on aurait aimé faire et qu’on n’a pas faites. On commence à se sentir seul, au pire on peut même tomber dans la dépression. L’histoire s’inspire de mon enfance. Je l’ai passée presque entièrement avec ma grand-mère, qui était une femme solitaire et qui travaillait à balayer les rues. Elle m’aimait beaucoup. Je suis sûr qu’elle rêvait tout le temps, comme la plupart d’entre nous. Quand j’étais petit, j’attendais toujours mon anniversaire ou la Saint-Sylvestre avec impatience, pour avoir le cadeau de mes rêves. C’est à la fois drôle et tragique, car à chaque anniversaire, à chaque nouvelle année, on prend de l’âge mais inconsciemment on continue à vivre comme si l’année qui vient allait nous apporter des changements positifs dans notre vie. Dans le film, j’ai utilisé les saisons comme métaphore de la vie, pour montrer à quel point elle est fragile, belle, courte et imprévisible.
Avez-vous envie d’explorer d’autres genres ? La prise de vues, ou d’autres styles d’animation ? Quels sont vos projets ?
Oui, je pense souvent à réaliser un film pour enfants. La prise de vues, oui, aussi. Je suis peut-être trop paresseux ou alors c’est que je cherche à justifier ma paresse, mais je trouve que les enfants constituent le public le plus difficile. Surtout aujourd’hui. Plus que les adultes, ils ont besoin de héros, d’influence, d’amis sur qui compter. On ne peut pas leur mentir. C’est une énorme responsabilité. En outre, je n’ai pas d’idées valables pour un tel film. Il y a vingt ans, quand ma fille était petite, j’ai envisagé de faire un film pour elle. Puis j’ai pensé faire un film pour mon fils. Maintenant, ce ne sont plus des enfants et je n’ai toujours pas d’idées ! Travailler en prises de vues serait plus intéressant pour moi, un court métrage sans dialogues. Mais je ne suis pas sûr d’arriver à diriger des acteurs. Surtout si je ne les connais pas bien. Mes acteurs, ce sont mes personnages, c’est moi qui les ai créés sur une page blanche. Je les connais bien, je sais comment leur parler. En ce moment, je travaille sur un nouveau court métrage d’animation. Encore un film très différent.
Quels ont été vos coups de cœur au cinéma cette année ?
Malheureusement, je dois avouer que je n’ai pas vu beaucoup de films en prises de vues réelles l’année dernière. Je ne pense pas avoir vu de films qui pourraient m’inspirer en tout cas. Mais j’ai vu de superbes animations. Par exemple j’ai adoré Le roi des Aulnes de Georges Schwizgebel, Before Love de Igor Kovalyov, Ma vie de courgette de Claude Barras et Psiconautas de Alberto Vázquez et Pedro Rivero.
Si vous êtes déjà venu à Clermont-Ferrand, pouvez-vous nous raconter une anecdote sur le festival ? Sinon, quelles sont vos attentes pour cette édition ?
Je suis allé trois fois au festival de Clermont depuis 2003, je crois. J’ai beaucoup aimé le festival, super ambiance et très belle ville dans des paysages volcaniques. Chaque fois que je suis venu, je me suis retrouvé dans des situations cocasses. Une fois, c’était à la brasserie qui se trouve à côté de la maison de la culture. C’était la troisième fois que je venais à Clermont, en 2008, si mes souvenirs sont bons. J’avais déjà séjourné en France plusieurs fois mais je n’avais jamais goûté le fameux steak à la française. Il faisait un froid de canard et j’avais faim. Je devais aller à une séance et je n’avais pas le temps de trouver un bon resto, alors je me suis contenté de la brasserie la plus proche, qui n’était pourtant pas la moins chère. Malheureusement, le personnel ne parlait pas anglais et il n’y avait pas grand-monde pour me seconder. Quand j’ai commandé un steak-frites, le serveur m’a demandé en français quelle cuisson je désirais (saignant, bleu ou à point). Je n’avais jamais mangé de steak, je vous jure. Je ne savais pas ce qu’il me voulait, ni ce que je devais dire. Même ma voisine de table, qui baragouinait anglais, n’a pas réussi à m’expliquer la différence. J’avais l’estomac dans les talons et la plaisanterie pas très fine, je l’avoue. J’ai dit à cette dame de lui dire que je voulais la cuisson qu’il aurait choisie pour lui. Et que si ce n’était pas bon, je le transformerais en steak (pas super drôle, je sais). Le serveur m’a souri et a disparu en cuisine. Un quart d’heure plus tard, on m’a enfin servi mon plat. Des clients le regardaient avec surprise, le comparait à leur assiette. Mon assiette avait l’air bien plus belle que toutes les autres. J’ai coupé la viande et j’ai eu un choc… Elle était quasiment crue à l’intérieur et le sang a commencé à gicler dans l’assiette. J’ai goûté avec méfiance et… c’était délicieux ! J’ai appris plus tard que les gens de Clermont-Ferrand appréciaient particulièrement la bonne chère et respectaient ceux qui aiment manger. Peut-être parce que c’est la ville de Michelin. Je sais pas.
D’autres projections de votre film sont-elles prévues ?
Le film sera présent au festival de cinéma de Gothenburg presque en même temps que Clermont, puis il partira en Iran, au Portugal, sur un autre festival français (Roanne), au Japon… Il y aura aussi des projections aux États-Unis lors du Animation Show of Shows. On verra bien !
Est-ce que vous participerez à d’autres événements pendant le festival de Clermont-Ferrand (Expressos, conférences ou autre) ?
Malheureusement, je ne pourrai pas me rendre au festival cette année, mais le film sera représenté par mon ami, le compositeur canadien Pierre-Yves Drapeau.
Bonne continuation à vous !
Merci ! Et tous mes vœux à votre super festival !
Pour voir Gaidot Jauno Gadu, rendez-vous aux séances de la compétition internationale I10.