Breakfast avec Jerry
Entretien avec Roman Przylipiak, réalisateur de Jerry
Parlez-nous de votre rencontre avec la thérapie énergétique. Qu’en pensez-vous ?
À grande échelle, c’était un gigantesque rassemblement avec le père Bashobora, un prêtre, au stade national de Varsovie, où des dizaines de milliers de gens priaient pour être guéris. J’ai vu ça sur YouTube. Ce phénomène m’a rappelé des scènes auxquelles j’avais assisté – à petite échelle, disons. En Europe de l’est, il y a beaucoup de guérisseurs, des chuchoteurs (« szeptuchy ») et des thérapeutes bioénergétiques qui n’ont aucun papier pour justifier leurs méthodes. Dans les petits villages surtout, les gens ont besoin d’un magicien, d’une personne entre le docteur et le guérisseur. J’ai assisté à de nombreux rassemblements avec des « guérisseurs » et c’était poignant. Les gens venaient avec des enfants qui étaient gravement malades. Ça ne faisait rien du tout, mais ils persistaient à y croire. Peut-être ont-ils juste besoin de cet espoir ? Ou d’un petit bout d’espoir ? Peut-être qu’ils pensent que tout doit avoir un sens, parce qu’ils ont été blessés par la vie… Que se passe-t-il dans la tête du guérisseur ? Croit-il vraiment en lui, ou n’est-il qu’un sale voleur qui se nourrit de la crédulité des hommes ? Voilà les questions que je me suis posées.
Le personnage de Jerry a-t-il été inspiré par une personne que vous avez rencontrée en vrai ?
Jerry est un personnage fictif qui s’inspire en partie de quelques vraies personnes et en partie de la magie. C’est un guérisseur raté, on peut le dire, il est nul. Mais il espère encore que le vent va tourner. On en est tous là dans la vie, non ?
D’où vient l’idée du chien qui fait revenir ses pouvoirs ?
Je préfère ne pas en parler, histoire de laisser les spectateurs se faire leur propre opinion. Je dirais qu’il y a quelque chose du Faust de Goethe, mais on ignore qui est ce chien – est-ce le diable ? Est-ce Dieu ? L’espoir ? Ou seulement… un chien ?
Pouvez-vous nous parler du lieu de tournage ? Avez-vous sollicité la participation des villageois ou utilisé uniquement des acteurs professionnels ?
Voilà un sujet qui me fait toujours sourire : Tykocin. C’est le nom du village où on a tourné le film. Il se trouve à l’est de la Pologne, au milieu de grandes plaines où coule la belle rivière Narew. Tykocin est un endroit insolite, c’est le paysage urbain le plus ancien du pays, qui date du XVIIe ou du XVIIIe siècle, et même le tracé des rues, les maisons et les trottoirs ont été préservés dans leur état d’origine. C’est un lieu magique et c’est cette ambiance que je voulais pour mon film. Bien entendu, j’ai demandé aux habitants de participer au film. Ils ont été tellement réceptifs que pendant les répétitions, j’ai décidé d’attribuer deux rôles importants à des acteurs non professionnels. Au final, tous les rôles à part les trois principaux sont assurés par des habitants de Tykocin. Tout le monde a fait preuve d’une grande sincérité, ce qui a été utile dans certaines scènes de groupe un peu difficiles.
La musique accentue le côté absurde et l’humour noir du film. Comment l’avez-vous choisie ?
Pendant le montage, je cherchais une musique qui puisse faire sentir cet humour noir. C’était très important car je voulais créer cette ambiance très spéciale où l’on rit alors qu’il n’y a rien de drôle à l’écran, et je voulais raconter une histoire un brin absurde. J’ai déniché un compositeur et un morceau qui, à première vue, ne faisaient pas trop l’affaire. Mais je les ai choisis. C’est une suite intitulée « Peer Gynt » de Edvard Grieg, un compositeur norvégien, qui l’a composée pour une pièce éponyme d’Ibsen. La composition date de 1874, ce qui, miraculeusement, s’accordait à merveille avec la ville de Tykocin…
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Tout dépend des producteurs, mais quand on est financé par l’institut national du cinéma (comme c’est mon cas), on a une grande liberté au niveau artistique. Et pour tout vous dire, j’ai fait beaucoup de changements au fil du tournage. Le format court est parfait pour faire des expériences, pour chercher un style cinématographique bien à soi. J’ai donc pris des décisions que ni mes producteurs, ni mon équipe ne comprenaient ! Mais au final, on a Jerry !
Si vous êtes déjà venu, pouvez-vous nous raconter une anecdote vécue au festival de Clermont-Ferrand ? Sinon, qu’en attendez-vous ?
C’est la première fois que je viens au festival de Clermont-Ferrand et pour moi, comme pour mon équipe, c’est vraiment un honneur. J’espère rencontrer des réalisateurs, des producteurs, des responsables des ventes, tous ces gens qui font le cinéma aujourd’hui. J’ai aussi deux projets (de longs métrages) en cours, dont un à l’international, donc j’espère avoir l’occasion d’en discuter. Et puis j’ai hâte de revoir la France.
Pour voir Jerry, rendez-vous aux séances de la compétition internationale I10.