Dernier verre avec Je me souviens de Sunderland
Entretien avec Félix Fattal, réalisateur de Je me souviens de Sunderland
Comment avez-vous eu l’inspiration pour ce film ? Avez-vous entrepris des recherches sur Ian Freeman ?
Avant toutes recherches narratives et « documentaires », ce film est né du désir d’expérimenter les possibilités offertes par l’image arrêtée ou plutôt l’image interrompue. C’était, à mon sens, la forme qui me permettait le mieux de construire une image-souvenir, des fragments mis en confrontation pour recomposer une histoire. Je me suis directement tourné vers des images pour lesquelles j’ai un affect. Je regarde souvent des matchs de MMA quand je travaille sans trop savoir pourquoi. Ce sont des images avec lesquelles je vis tout simplement. Ensuite, j’ai cherché qui était « The Machine », mais ce qui m’intéressait le plus était ce que me racontait son corps, ses expressions. À partir de ce match se déployait un univers que j’avais envie d’explorer.
Quelles images avez-vous utilisé ?
J’ai utilisé les images du match Freeman/Fulton, un film de vacances trouvé sur internet, une captation de soirée gabber (musique que j’affectionne beaucoup pour son côté primitif et efficace), et des images pornographiques amateurs. L’idée était d’expérimenter à la fois une esthétique du fragment mais également de donner aux images une cohérence esthétique par la « recaptation ».
Avez-vous été à Sunderland ?
Non, je n’ai jamais été à Sunderland. Pour moi, cette ville représente l’aura de Ian Freeman. L’idée n’était pas du tout de faire un documentaire sur ce boxeur mais de restituer l’atmosphère qui s’en échappe, tout en laissant les images raconter ce qu’elles avaient à dire.
Pensez-vous que la guerre soit une résultante de la violence individuelle ou au contraire sa source ?
Cette question est intéressante, mais très compliquée. Je pense qu’aujourd’hui, les guerres sont à la source de violences individuelles car elles retirent des choses essentielles à l’être humain. Au Moyen-Âge, il me semble que la guerre était quelque chose de beaucoup plus protocolaire car il s’agissait d’organiser la mort, et de la réduire à un nombre d’individus restreint qui s’opposeraient sur un terrain défini. Elle permettait en un sens peut-être odieux de régler des conflits tout en faisant rentrer ses soldats dans une postérité presque sacrée. Des conflits naissaient des récits de vertu. Aujourd’hui, ce sens n’existe plus et d’une certaine manière, les sports de combats ont pris le relai. Mon personnage n’est pas un soldat ; c’est l’enfant d’un trauma. Il a grandi au contact d’un monde usé par les conflits d’où sa perte de repère, adolescent. Dans la boxe, on retrouve l’équilibre, on produit du récit, on se joue de la mort et on expérimente à nouveau cette part de sacré.
Pourquoi étiez-vous intéressé par la question d’évacuer la joie, la tristesse, le stress ou la colère par l’action physique ?
Pour moi, c’était tout l’enjeu du projet. Devant ces matchs de boxe, personne ne peut nier le degré érotique de la situation : l’exaltation des corps mais aussi l’affront à la mort en font une célébration dionysiaque par excellence. C’est cela que je voulais mettre au premier plan. J’avais envie de raconter l’histoire d’un homme qu’on a réduit à l’état de corps en fonctionnement. Que lui reste-t-il ? Le désir. C’est ce que révèle l’action physique. Ensuite, il y a un deuxième aspect dans cette question : c’est l’idée que dans le match de boxe se racontent les joies, les peines, la colère de Ian Freeman. Si je racontais juste le match, alors la tension n’étais pas intéressante. Il fallait que le match entre en confrontation avec l’intériorité du boxeur ; que dans cette arène, il aille arracher par le désir et les sens, son histoire.
Pour vous, qu’est-ce qui est le plus intéressant : le sport, la danse ou la boxe ?
Les trois m’intéressent pour les mêmes raisons, même si la boxe en est l’expression la plus radicale. Tout trois répondent à une nécessité d’explorer les limites de ses sens, et d’une manière très primaire, très accessible, d’expérimenter notre part de sacré. Je ne veux pas ramener cela à quelque chose d’hyper intellectuel parce que justement ça ne l’est pas. Ces pratiques inventent une manière de se mouvoir, ouvre un temps et un espace qui d’une certaine manière élargissent nos possibilités. Tout le monde a un corps donc tout le monde se confronte à ses sens d’une manière très naturelle. C’est pour cela que ces motifs m’intéressent : parce qu’ils se détachent de tout discours moral pour atteindre quelque chose d’essentiel chez l’individu.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Le film est très court et il devait trouver cette durée. Nous avons procédé avec Luc Seugé, le monteur, et Román Arroyo, l’ingénieur du son, d’une manière très libérée en écrasant les étapes classiques de travail. Le film s’est écrit, tourné, monté, dans un même temps et c’est un procédé très agréable que l’espace du court métrage nous offre sans aucun doute.
Si vous êtes déjà venu, racontez-nous une anecdote vécue au Festival de Clermont-Ferrand ?
Sinon, qu’en attendez-vous ?
C’est la première fois que je viens au Festival de Clermont Ferrand. J’espère surtout pouvoir voir le plus de films possibles : des courts audacieux et inspirants je ne dis jamais non ! Bon festival à tous !
Pour voir Je me souviens de Sunderland, rendez-vous aux séances de la compétition labo L2.