Lunch avec Ève
Entretien avec Agathe Riedinger, réalisatrice de Ève
Pourquoi avez-vous opté pour des voix digitales comme voix off ?
Ève et Lili sont des femmes alpha. Deux femmes qui ont façonné un, leur idéal de beauté, qui se sont emparées d’un pouvoir divin pour devenir plastiquement parfaites. Je suis fascinée par celles et ceux qui recréent physiquement leur beauté, qui font subir à leurs corps un travail très rigoureux pour atteindre la perfection. La chirurgie esthétique est parfois perçue comme une négation de ce dont la nature nous a dotés, une tentative de ressembler aux dieux. Le corps devient une armure renvoyant un message de puissance alors que celle-ci ne rend que plus visible le désir (le besoin) d’être aimé. C’est un paradoxe qui me touche, il y a une portée poétique, très humaine dans ce geste. Et un paradoxe que je voulais que l’on retrouve entre le contenu romantique donc très vibrant de ce que racontent les personnages, et la manière de le dire, digitale, plastique, lisse (alpha elle aussi ?). Essayer de montrer de la poésie là où il n’y a à priori aucune chaleur.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans l’expression d’un désir d’amour ou d’échanges sociaux attentionnés, confronté à l’isolement et l’immobilisme du personnage qui l’exprime ?
Leur besoin d’amour les tétanise donc les isole. C’est le sentiment le plus humble et le plus tyrannique.
À quel point Ève et Lili sont-elles des représentations féminines du Caligula de Camus, à la fois s’auto-enfermant dans une quête fantasmée et s’échappant de la réalité ?
Caligula était un empereur mégalo obsédé par l’impossible. Ève et Lili en sont une représentation féminine par leur désir d’absolu et la façon dont elles l’expriment, reines d’un royaume “too much“ voué à en imposer. Elles sont une représentation radicalisée du désir, de ce qu’il y a de plus admirable, de plus puissant. Ève et Lili en sont aussi une illustration. Leur besoin d’amour et tous les artifices dont elles usent sont une forme de soumission conséquente à la tyrannie du toujours plus.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans les dominantes de couleurs, rose pour Ève et jaune pour Lili ?
Pour chacune, j’ai travaillé la direction artistique avec radicalité. La simplicité du vocabulaire visuel est une réponse à la complexité des thèmes abordés, des thèmes qui justement nécessitent de la nuance. Imposer une dominante de couleur traduisait ainsi les obsessions des personnages. De beauté, d’amour, leur isolement. C’est du fétichisme.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Bien sûr ! Particulièrement ici avec ce langage expérimental. Le découpage et l’action très épurés, le rythme, l’utilisation des voix digitales sont des outils qui pourraient être compliqués à utiliser dans un long métrage de fiction.
Pour voir Ève, rendez-vous aux séances de la compétition labo L1.