Goûter avec What do you Know About the Water and the Moon (Que sais-tu de l’eau et de la lune ?)
Entretien avec Jian Luo, réalisatrice de What do you Know About the Water and the Moon (Que sais-tu de l’eau et de la lune ?)
Pourquoi le choix de ce titre ?
Parce que l’eau se retire sans jamais disparaître et que la lune croît et décroît sans jamais changer de volume. Quand on regarde les choses du point de vue de ce qui change, le temps passe en un clin d’œil ; si on les regarde au contraire du point de vue de ce qui ne change pas, tout devient alors éternel, nous y compris. Ici, il est question du voyage intérieur d’une jeune femme. Nous faisons l’expérience de sa réalité – sans la partager – sauf quand la magie du cinéma nous projette dans sa tête. Le titre est celui d’un de mes poèmes préférés, écrit par un auteur de la dynastie Song. Je pense que le cinéma et la poésie sont de bons vecteurs pour appréhender la réalité sous un autre angle.
Là où vous tournez, l’avortement est-il un sujet particulièrement sensible ? Quelle était votre intention en faisant le choix de ce sujet ?
Dans le milieu dans lequel j’ai grandi, on n’aborde pas facilement les sujets difficiles. Peut-être parce que la vie l’est déjà suffisamment comme ça. Alors, quand on est habitué à ne partager avec ses proches que des choses sans conséquences, celui qui fait part de ses sentiments publiquement est considéré comme sacrilège. Mais est-ce réellement le cas ? À la fin du film, quand le personnage se tient immobile, déconcerté, tout le monde, autour d’elle, continue comme si de rien n’était. Cette scène en dit long sur mes rapports avec ma terre natale : personne ne m’attend, personne ne reconnaît mon histoire. Au bout d’un moment, ça me laisse penser que je ne suis peut-être pas normale ? À vouloir comme ça, à tout prix, parler de choses qui n’intéressent personne. Une fois aux commandes, ce sont tous ces questionnements qui m’ont amenée à aborder le sujet de l’avortement.
Que symbolisent le poulpe et la méduse ?
Ils participent de ces moments un peu absurdes du film, au carrefour entre le monde du rêve et de la réalité. C’est seulement quand la méduse s’immobilise dans le vase que Yang, enfin, commence à s’y intéresser. Elle se demandait quoi en faire sans imaginer une seconde que son sort ne dépendait peut-être pas d’elle. Le poulpe l’étonne, la ramène au monde réel. Elle a la sensation de voir une mare remplie de créatures venues de la Mer Morte. Quelque chose qui ressemble à la méduse qu’elle transporte ; morts tous les deux. Le poulpe sans vie soulève la question qu’elle se pose à elle-même : suis-je coupable ? Quand elle s’enfuit, tout le monde la regarde. Un homme crie et la montre du doigt. Pour moi, cette scène pose question.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la ville où l’histoire se déroule ? Pourquoi l’avoir choisie ?
J’ai choisi de tourner dans la ville où vit ma mère, une petite ville au sud-ouest de la Chine. Peu de choses ont subsisté aux inondations et aux tremblements de terre mis à part l’hospitalité des habitants et le célèbre spectacle son et lumière. Tous les soirs, entre 19h et 22h30, la ville est illuminée par des panneaux de leds colorés suspendus aux balcons de tous les immeubles qui longent la rivière. Mon grand-père m’a raconté que quand il était jeune, il y avait des lucioles partout à cet endroit. Mais depuis quelques années, depuis que la ville brille de tous ses feux, les lucioles, qui ne peuvent plus retrouver leur partenaire à la saison des amours, ont disparues.
Votre film pourrait-il être considéré comme la voix à laquelle tout individu se sentant femme pourrait s’identifier ?
Quand je vivais en Chine, je ressentais une insécurité permanente dont je n’arrivais pas à identifier les causes, et ce sentiment a perduré quand je suis partie aux U.S. J’ai réalisé alors que ça venait de cette peur indicible, dont personne n’est responsable en particulier, de ce système patriarcal qui survit dans l’inconscient. Quelque chose de terrifiant et malsain pour les hommes comme pour les femmes. J’ai choisi de parler de l’avortement, mais mon intention n’est pas de l’aborder du point de vue politique mais plutôt de parler, à partir de ce sujet, de ce qui est important pour moi : les sentiments profonds, le sens de l’humour, les différents styles de vie dans une petite ville de Chine, avec l’espoir que le public se sente concerné.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Ce film a fait l’objet d’un autofinancement et mes moyens n’étaient pas suffisants pour faire autre chose qu’un court. Mais je pense qu’un long métrage m’aurait permis plus de liberté dans la mesure où j’aurais pu creuser davantage l’univers du personnage et donner plus de clés au spectateur.
Pour voir What do you Know About the Water and the Moon (Que sais-tu de l’eau et de la lune ?), rendez-vous aux séances de la compétition international I14