Dîner avec Are you Listening, Mother? (Tu m’écoutes, maman ?)
Entretien avec Tuna Kaptan, réalisateur de Are you Listening, Mother? (Tu m’écoutes, maman ?)
Vous intéressiez-vous particulièrement à la situation des Kurdes de Turquie avant de vous lancer dans ce film ?
C’est un problème sociopolitique majeur depuis des décennies donc je me suis toujours intéressé à la question.
Pourquoi vouliez-vous mettre en scène une relation mère-fils ?
Je voulais inscrire cette histoire dans un microcosme, au cœur de la société humaine. Deux membres d’une famille : la mère et son fils. Pour moi, le personnage du fils représente un état d’esprit en Turquie, influencé par le doute, la peur et le retrait personnel face aux nombreuses frontières invisibles de la société. Dans le contexte actuel d’arbitraire judiciaire, on ne peut jamais être sûr d’être du bon côté. Les tabous, les normes, ainsi que, à l’heure actuelle, le système judiciaire sont devenus des éléments mouvants, facteurs de confusion, d’hésitation et de repli sur soi. La grande majorité des gens préfèrent éviter les persécutions et rester dans le statu quo. Puis je me suis penché sur les conflits d’intérêt au sein d’une relation mère-fils. Quand on vieillit, les responsabilités dans la famille évoluent souvent. Je voulais montrer comment un fils, qui craint surtout l’autorité de l’État, réagirait face à une mère rebelle et entêtée dans cette situation particulière d’assignation à résidence. Le fils est déchiré entre la révolte et l’obéissance, il est donc déstabilisé. Ses actions l’amènent à mentir, à comploter pour tenter de protéger sa mère. Je voulais montrer les conséquences délétères d’un manque de communication sincère et d’un désir patriarcal de protection de l’autre.
Pourquoi avoir situé les personnages dans un lieu si isolé ?
La réduction de l’espace cinématographique à une maison familiale était nécessaire pour se concentrer sur cette métaphore du noyau de la société. L’espace privé d’un chez-soi est le dernier bastion de la liberté individuelle. Dans toute l’histoire de l’humanité, on observe des tendances à se retrancher chez soi en période d’autoritarisme. Ici, c’est ce dernier bastion de liberté qui devient une prison aux limites invisibles et qui est envahi à plusieurs reprises par des représentants de l’autorité. Je voulais étudier la dynamique intérieure du noyau familial sous un régime de répression extérieure. Il était donc important que le récit reste dans ce cadre, surtout pour un court métrage. Je voulais également créer un univers à dimension universelle en choisissant un lieu loin des clichés orientaux de l’Anatolie du sud-est, avec ses vieilles cabanes en argile. Je voulais vraiment insister sur le fait que cette histoire pourrait arriver près de chez vous.
Quel a été votre travail sur la façon dont la loi est appliquée ?
Tout d’abord, je tenais absolument à éviter le cliché du méchant policier qui aurait donné au film un côté manichéen. Comme je viens du documentaire, j’ai effectué des recherches sur différentes affaires d’assignation à résidence en Turquie, mais j’ai aussi rendu visite à la famille qui a connu cette situation. Dans leur cas, les responsables d’Ankara téléphonaient à chaque fois que la mère franchissait la limite. Pour les besoins du film, nous avons fait venir les policiers en personne pour mettre la pression sur la famille. La fin est un exemple de justice autoproclamée de la part des policiers, qui veulent juste trouver une solution de facilité qui les arrange, pour ne plus avoir à se déplacer à chaque fois que la vieille dame franchit la limite.
Diriez-vous que le format court vous a donné une certaine liberté ?
Absolument, j’adore travailler dans ce cadre. Il faut réduire l’action dramatique à son minimum et se concentrer sur l’essentiel. Cette économie est salvatrice. Dans notre cas, elle a guidé la décision de situer l’action dans un lieu unique. C’est aussi plus facile (et moins cher) de faire des essais, tant du point de vue du contenu que de la forme. Mon prochain film sera sans doute complètement différent.
Are you Listening, Mother? (Tu m’écoutes, maman ?) a été projeté en compétition internationale.