Goûter avec Yoakemae no KoiMonogatari (Avant l’aurore)
Entretien avec Chunni Lin et Pang-Chuan Huang, coréalisateurs de Yoakemae no KoiMonogatari (Avant l’aurore)
Comment avez-vous découvert l’œuvre de Weng-Nao ? Pourquoi avoir voulu retrouver sa trace ?
Nous avons découvert l’œuvre de Weng-Nao dans un livre publié en 2011, soixante-dix ans après sa mort. Son œuvre intégrale venait de paraître pour la première fois traduite en mandarin (les originaux furent publiés en japonais dans un magazine littéraire de son époque). Ses écrits décrivent l’ambiance de son époque d’une façon très spéciale et évoquent ses réflexions sur la vie. On ignore comment il a fini sa vie dans cette terre étrangère qu’était pour lui le Japon. Nous avons donc décidé de nous rendre sur les lieux où il a vécu ses dernières années et écrit toute son œuvre.
Pouvez-vous expliquer les noms Eng-Do et Ong-Do ?
En japonais et en mandarin, nous utilisons les mêmes pictogrammes à l’écrit, mais nous les prononçons différemment. Dans ce cas précis, Eng-Do, écrit遠藤, et Ong-Do, écrit翁鬧, se prononcent presque pareil en japonais, mais ce sont des caractères complètement différents. L’homme du film est induit en erreur par la prononciation japonaise. D’ailleurs, Ong-Do(翁鬧)se prononce Weng-Nao en mandarin, c’est donc bien, en théorie, la bonne prononciation de son nom, ce qui explique que nous l’appelions Weng-Nao dans le synopsis.
Avec quel matériel avez-vous filmé ?
Des pellicules 16 mm, dont certaines étaient périmées.
Combien de temps avez-vous passé à Tokyo et combien de temps y avez-vous tourné ?
Nous avons fait plusieurs voyages à Tokyo depuis 2016. En 2019, nous avons commencé le tournage, nous avons passé deux mois sur place, du 29 mars au 2 mai, pour rencontrer et interviewer les gens, et nous avons filmé tout notre voyage.
Peut-on dire que le voyage est plus important que la destination ?
Tout à fait. Beaucoup de gens ont des attentes par rapport à une destination, tout comme ils attendent une fin nette ou un but précis dans un film, mais il n’y a rien de tout cela dans la vie.
Quelle est cette comptine que l’on entend dans le film ? Pourquoi vous y êtes-vous intéressés ?
Elle s’appelle « Gun-Kan Janken » (navire, pierre, feuille, ciseaux), c’est un jeu de mains qui était courant pendant la guerre. Dans ce jeu, le navire est la pierre, la Corée est les ciseaux et Hawaï, la feuille de papier. C’est un jeu assez cynique, qui a été beaucoup décrié comme étant peu convenable dans la société japonaise moderne, mais les enfants y jouent encore, dans des versions différentes selon les régions. Nous avons enregistré par hasard, en descendant l’avenue principale de Koenji, trois enfants qui y jouaient bruyamment.
Parlez-nous du poème que vous avez choisi pour la fin : quand a-t-il été écrit, pourquoi l’avoir choisi pour votre film ? Quel rapport avec la poésie taïwanaise ?
Le poème s’intitule Le chant de l’oiseau, écrit en 1935. L’oiseau incarne peut-être cet écrivain, issu d’une société colonisée, qui devait parler une langue qui n’était pas la sienne et survivre tant bien que mal dans cette métropole, Tokyo. Il incarne peut-être les écrivains taïwanais de cette période.
La structure du poème, avec le refrain en onomatopées animales, fait penser à un poème aïnou, y a-t-il un lien ?
Il n’y a probablement aucun lien entre la poésie des Aïnous et celle de Weng-Nao. La sienne se rapprochait plutôt de la littérature surréaliste qui, venue de France en 1928, a connu un succès immédiat au Japon et à Taïwan. C’était cette période du futurisme, du dadaïsme, du surréalisme, etc.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées ?
Sans aucun doute, le court métrage, c’est la liberté !
Quelles sont vos films de référence ?
Notre principale référence est un film de Wim Wenders, Tokyo-Ga. C’est un documentaire sur le grand cinéaste japonais Ozu Yasujiro. Le film montre une société où il ne reste plus une trace d’Ozu, comme si la ville de Tokyo l’avait déjà oublié.
Pour voir Yoakemae no KoiMonogatari (Avant l’aurore), rendez-vous aux séances du programme L3 de la compétition labo.