Breakfast avec Slow Light (Lumière lente)
Entretien avec Przemyslaw Adamski et Katarzyna Kijek, coréalisateurs de Slow Light (Lumière lente)
Pouvez-vous nous parler de cette maladie ? Avez-vous déjà rencontré des cas similaires dans la vie réelle ?
C’est un problème médical fictif, mais qui prend racine dans la recherche scientifique. « Lumière lente » est le terme utilisé en physique pour décrire une onde lumineuse dont la propagation s’est ralentie bien en-deça de la constante physique fondamentale. La physicienne danoise Lene Hau est parvenu à ralentir un faisceau lumineux à 17 mètres par seconde. Nous avons étiré démesurément le délai pour plus d’effet symbolique et narratif. Le choix d’une période de sept ans est signifiant pour beaucoup de raisons. Ce choix est notamment basé sur la théorie de Rubin Steiner, pour qui le développement humain se fait en cycles de sept ans tout le long de la vie, même à l’âge adulte. C’est aussi un clin d’œil à la croyance populaire selon laquelle les cellules humaines sont remplacées à une certaine fréquence, et qu’en théorie, après environ sept ans de reproduction cellulaire, nous devenons un tout nouvel ensemble de cellules. La nature de la maladie du personnage est inspirée par les écrits d’Oliver Sacks décrivant une quantité de troubles rares de la perception parmi ses patients. Bien sûr aucun d’entre eux n’a les yeux denses, mais ce qui nous fascine, c’est le point auquel le monde peut sembler différent selon chaque perception individuelle. Même si nous avons choisi de faire des yeux un élément-pivot du récit, la déficience visuelle en tant que telle n’est pas du tout le propos du film. La maladie du personnage, c’est en fait son incapacité à comprendre la réalité.
De qui sont inspirés les traits de caractère du personnage ?
C’est un mélange de diverses influences. Dès le départ, nous voulions faire clairement comprendre qu’il vit derrière le rideau de fer, pour inclure le moment-clé de la transformation politique qui va pousser à l’extrême son incapacité à s’adapter à une réalité qui change vite, et le faire sombrer dans la nostalgie. Beaucoup de vies furent simplement brisées, comme dans le cas particulier d’Otakvar Švec, un sculpteur tchécoslovaque connu surtout pour le plus grand monument à Staline jamais réalisé. La statue resta seulement sept ans en place à Prague avant d’être détruite à la dynamite après le changement de climat politique. La biographie tragique de Švec nous a beaucoup inspirés pour la création du personnage. Pour rendre le personnage crédible en tant qu’habitant de l’ancien bloc soviétique, nous avons voulu lui donner un accent spécifique. Sa voix a été un peu inspirée par la manière de parler de Roman Polanski. Un homme dont la biographie diffère complètement, mais qui illustre cependant l’exemple d’erreurs qui déterminent une vie entière et hantent longtemps après qu’on les a commises. En gardant en tête l’idée qu’une existence modelée par des décisions déraisonnables ne peut avoir de fin heureuse, nous voulions que notre personnage meure tragiquement, mais pas en héros. On a essayé de trouver des morts absurdes (en survolant, par exemple, la liste des Darwin Awards) et quand on a lu l’histoire de Tennessee Williams s’étouffant avec le couvercle de sa boîte de médicaments, on a convenu que ça collait parfaitement à l’histoire, le personnage utilisant tout le long de sa vie des gouttes pour les yeux.
Parlez-nous de votre technique d’animation. Pourquoi utiliser cette technique spécifique pour raconter cette histoire ?
Nous savions dès le départ qu’il nous faudrait concevoir les images de manière à ce que le décalage temporel et les deux fils narratifs soit clairement perceptibles, nous avons par conséquent utilisé deux techniques distinctes d’animation. Pour les événements du passé, sans surprise, nous avons choisi la 2D car sa planéité et sa forme traditionnelle évoquent toutes deux le passé. Pour le présent nous voulions évoquer son aspect tangible et faire deviner que le réel est à portée de main. Nous avons trouvé l’inspiration dans les éléments en relief exposés dans les galeries et les musées, comme supports destinés aux aveugles et déficients visuels. Nous voulions créer les images matériellement pour mettre l’accent sur l’importance du sens tactile, capital à l’appréhension du moment présent, mais aussi extrêmement limité et subjectif, ce qui illustre bien le propos du récit.
Quels sont vos parcours en tant que cinéastes ?
Nous sommes tous deux diplômés de l’école des Beaux-Arts où nous avons étudié les techniques traditionnelles de gravure, et nous avons tous les deux choisi l’animation en plus de nos études. On a commencé en réalisant des clips vidéos et nous avons eu notre petit succès dans ce domaine, avec la reconnaissance aux festivals anglais Design and Art Direction et UK Music Video Awards, ou en gagnant le prix du meilleur clip à l’Animafest Zagreb, et le tout dernier Cristal du festival d’Annecy décerné à cette catégorie du clip. Comme nous aimons faire des choses différentes, nous n’avons pas peur de faire des courts métrages. Slow Light semble être notre essai le plus abouti à ce jour.
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Nous nous appuyons énormément sur la philosophie, souvent sans nous intéresser aux conclusions finales, parce les postulats théoriques sont souvent bien plus inspirants que les démonstrations logiques avérées… du moins, pour ce qui est de faire des films. Nous lisons des articles scientifiques, et notamment ceux du domaine des sciences physiques qui étendent la perception de l’univers au-delà de nos cinq sens. Nous apprécions aussi la description d’anomalies rares, car, dans une perspective existentialiste, ces exceptions définissent notre être. Par dessus tout nous croyons en ce credo vieux de presque soixante ans, selon lequel « le message, c’est le médium » : le choix de la bonne technique a autant d’importance pour nous que l’écriture du scénario même. C’est pourquoi nous ne voulons pas cultiver un style reconnaissable, mais bien plutôt nous mettre en quête des moyens d’expression les plus adéquats à chaque fois. Chaque problème mérite un traitement individuel.
Quel est votre court métrage de référence ?
Il y en a tellement ! S’il fallait n’en choisir qu’un, nous désignerions probablement Tango de Zbigniew Rybczyński, pour l’impact énorme qu’il a eu d’emblée sur nous.
Que représente le festival pour vous ?
Nous sommes extrêmement heureux de la sélection de Slow Light au prestigieux festival de Clermont-Ferrand ! C’est en fait notre retour après la décennie qui s’est écoulée depuis notre présence ici à l’occasion de l’un de nos premiers films, Noise. C’est ce moment excitant où après des années de travail on peut enfin le dévoiler au monde. Et vu notre souvenir des salles clermontoises, on trépigne d’impatience de voir le film projeté ici. On espère aussi revoir de vieux amis et rencontrer de de merveilleuses nouvelles personnes, alors n’hésitez pas à nous aborder si vous tombez sur nous !
Pour voir Slow Light (Lumière lente), rendez-vous aux séances de la compétition internationale I13.