Goûter avec À la chasse
Interview de Akihiro Hata, réalisateur de À la chasse
Le fait d’intégrer un personnage féminin au sein de cet univers très masculin a-t-il été un point de départ ou une évidence nécessaire ?
La raison pour laquelle Anaïs est le seul personnage féminin dans le film vient avant tout de mon désir de renforcer l’idée qu’Anaïs se bat seule contre tous. Pour cela, je me suis aussi servi du fait que le milieu agricole reste effectivement un milieu masculin même s’il y a de plus en plus de femmes. C’était une manière de l’isoler. D’ailleurs, le personnage est inspiré d’une jeune botaniste qui tient seule sa ferme. Sa force, sa détermination, sa volonté m’avaient extrêmement touché. Elle avait quelque chose qui disait que rien ne pouvait l’arrêter.
Anaïs est aussi la seule jeune à l’écran, jusqu’à l’arrivée du nouvel employé du voisin, pourquoi ne vouliez-vous pas nous donner à la voir au milieu d’autres jeunes ?
Je voulais que la relation entre Anaïs et Bruno devienne une sorte de bulle, un monde à part. C’est pour ça que j’ai fait le choix de distinguer clairement les deux jeunes et les autres, adultes. La manière dont j’ai décrit le milieu agricole est très dure. La crise frappe ce milieu de plein fouet, la communauté s’effondre, la coopérative se dissout. Tout le monde commence à se méfier des autres. C’est peut-être la fin d’un monde. Dans ce contexte, je voulais que la rencontre entre les deux jeunes ouvre une nouvelle perspective, quelque chose qui va au-delà de la dureté de ce qui se passe, un avenir, un espoir. En outre, il est vrai que beaucoup de jeunes vont en ville pour faire un autre travail. De nombreux agriculteurs m’ont parlé de la difficulté à trouver au sein de la famille quelqu’un qui veut poursuivre la gestion de la ferme. Ainsi, j’ai poussé le curseur dramatique et n’ai montré que les deux jeunes pour raconter cette réalité.
Êtes-vous particulièrement sensible aux personnages solitaires ? Plutôt Lucky Luke ou Salinger ?
Sans doute, oui. Je pense que c’est un peu mon leitmotiv. Pour répondre à votre question, comme je n’ai pas grandi en Europe, je n’ai sûrement pas le même rapport avec Lucky Luke que ceux qui ont grandi avec. En fait, je ne connais pas grand chose de Lucky Luke. Donc je dirai plutôt Salinger même si je ne fais aucun lien avec ce qu’il écrit. Je me souviens néanmoins que L’attrape-Coeur m’avait marqué quand je l’ai lu jeune.
Le père d’Anaïs semble être en pleine dépression, est-ce un effet voulu et pourquoi l’avoir placé dans une telle inaction ?
Oui, c’est évidemment voulu. C’est un personnage qui a travaillé dans sa ferme toute sa vie, tous les jours du matin au soir. C’était sa vie et sa fierté, même si l’agriculture est un métier très difficile. Le jour où il comprend que ses amis d’enfance et ses collègues le soupçonnent d’avoir volé l’épandeur à engrais, il perd toute sa motivation à continuer. La notion de la solidarité dans le milieu agricole est très importante. Dominique et les autres s’étaient toujours entraidés. Il est profondément déçu car il croyait que, même s’ils souffrent économiquement, même si les petites exploitations sont amenées de plus en plus à disparaître, il pourrait s’en sortir grâce à sa communauté, ses amis d’enfance.
Vous placez aussi vos personnages dans une ambiance oppressante au milieu d’une communauté qu’ils semblent pourtant bien connaître, êtes-vous intéressé par la question du poids de l’entourage et des pressions sociales ?
Tout d’abord, je voulais que le film ait un côté thriller. C’était aussi mon désir de base, le point de départ de ce projet. En observant le milieu agricole, je me suis dit qu’il y a tous les éléments pour faire un thriller. Par exemple, la communauté et le fait que tout le monde se connait m’ont permis de créer un monde clos et oppressant, les fermes et les champs qui se trouvent dans le noir complet une fois la nuit tombée m’ont inspiré les scènes basées sur les codes de thriller. Les pressions sociales changent nos vies, nos réflexions et nos choix. Dans mon film, tous les agriculteurs se battent à leur manière, peut-être à l’exception de Dominique qui baisse les bras. Ils se battent pour ne pas se faire écraser, pour résister, pour ne pas disparaître.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans les rapports de confiance et de méfiance abordés dans À la chasse ?
Un des sujets principaux de ce film est « l’effondrement d’une communauté ». En formant les coopératives, les agriculteurs essaient de survivre en communauté cette période économiquement difficile. Pourtant, un micro-événement qui est le vol de l’épandeur vient ébranler cette solidarité. La confiance se voit fragilisée par la peur, celle de disparaître, et on commence à soupçonner tout le monde. Je vois dans cette histoire quelque chose de très universel, quelque chose qui dépasse le milieu agricole.
Quels ont été vos coups de cœur au cinéma cette année ?
Comme l’année 2016 était une année très chargée, j’ai raté beaucoup de film que je voulais voir, comme Aquarius ou Diamant noir. Je compte faire un énorme rattrapage. Sinon, Toni Erdmann, La mort de Louis XIV, Dernier train pour Busan.
Si vous êtes déjà venu, racontez-nous une anecdote vécue au Festival de Clermont-Ferrand ? Sinon, qu’en attendez-vous ?
J’y suis venu en 2015 et j’ai gardé un très bon souvenir, notamment les échanges avec le public. J’ai hâte de découvrir les autres films aussi.
Pour voir À la chasse, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F8.