Auteurs en résidence : Baer Xiao
Le Label création de Sauve qui peut le court métrage – ShortCuts – vous propose de rencontrer les lauréats des résidences d’écriture 2022 de Moulins et Clermont-Ferrand à travers 4 interviews. Rencontre avec Baer Xiao autour de son projet Une goutte d’eau dans la mer.
Vous êtes lauréat de la résidence 2022, pouvez-vous vous présenter brièvement ?
Je m’appelle Baer Xiao, je suis réalisateur de courts métrages.
Après l’obtention d’une Maitrise « ART – Communication par l’image » à la East China Normal University (ECNU) à Shanghai, une vidéo de mon travail de fin d’études appelé ‘‘Paper Shanghai’’ a remporté le prix d’or du “The World One Minute” dans un festival d’art qui avait été organisé entre les Pays-Bas et la Chine. Par la suite, j’ai reçu une invitation à venir en France pour étudier le design d’animation à Saint-Etienne. A la fin de ces études, j’ai commencé à étudier le cinéma à Paris.
En 2014, j’ai été diplômé en réalisation à l’École Supérieure d’Études Cinématographiques de Paris (ESEC).
En 2017, J’ai écrit et réalisé mon premier court métrage, Derrière le Nuage, produit par Nouvelle Toile Productions avec le soutien du CNC et de la Mairie de Paris. Il a été diffusé par Canal +. Le tournage s’est déroulé en France, en Algérie et en Chine. En 2018, le film a été sélectionné dans de nombreux festivals de cinéma, notamment au Festival International du court métrage de Clermont-Ferrand et au Festival Cinéma et Migrations d’Agadir.
En 2018, après 6 ans de recherches sur les histoires et le contexte historique de la « ville-usine » appelée le « 331 »,j’ai commencé le tournage de mon deuxième court métrage Fleur de Pavot, produit par Nouvelle Toile Productions. L’équipe technique était composée de Chinois et de Français. Le film a reçu le soutien de Cinémas 93 de Seine-Saint-Denis pour la post-production. En 2019, le film a été sélectionné au Festival du film européen de Lille, Palm Springs International Shortfest, Côté court à Pantin et Chinese Youth Film Week à Pékin et Wuhan. Il a remporté le prix Ánfora de ouro au Festival Internacional de Curtametraxes de Bueu et le prix spécial du jury au 18e Prix Unifrance du court métrage.
Pouvez-vous nous présenter l’idée de votre projet, la naissance de l’envie de travailler sur une telle thématique ?
Pendant le tournage de mon premier court métrage Derrière le nuage en 2015, j’ai eu la chance d’aller en Algérie. L’endroit où j’étais s’appelle Béjaïa. Les routes de montagne, les nombreux chantiers autour de moi présentés par des panneaux à la typo chinoise approximative ou erronée m’ont profondément touché. Cependant, ce premier voyage à Béjaïa m’a fait constater qu’en tant que chinois, je n’ai vu aucun compatriote durant mon séjour. Les habitants m’ont plusieurs fois affirmé qu’il y a beaucoup de chinois en Algérie et notamment à Béjaïa. Ils seraient tous stationnés sur le chantier, sortiraient rarement. Perçus comme des fantômes par les habitants, ils apparaîtraient rarement dans la vie nocturne. Cela me rend très curieux de connaître les conditions de vie de ces travailleurs chinois en Algérie.
J’ai été très surpris de mes découvertes après de nombreuses recherches. Avant l’année 2000, de nombreux travailleurs chinois étaient d’anciens forçats, ou plutôt “prisonniers” (réformes du travail), envoyés sans aucune liberté, et travaillant dans d’énormes projets de constructions qui ne voient jamais le jour. Vivant des jours sans avenir, certains ouvriers chinois choisissent de rejoindre la religion musulmane. Ils vont aussi fonder des familles dans ce pays, et une minorité a même ouvert des petits magasins ou des restaurants. Mais la plupart d’entre eux mènent une vie collective sans libertés, travaillant sans cesse sur de gigantesques projets.
Un vieux monsieur Algérien m’a dit que ‘‘les Chinois sont des fourmis, les Algériens des cigales.’’ Cette phrase m’a beaucoup inspiré.
Les chinois ont leur propre « twitter » qui s’appelle « Wechat ». Dans cette application, nous pouvons chercher des amis chinois près de nous. Quand j’ai utilisé cette application à Bijaia pour voir s’il y avait des chinois, je n’ai pu localiser qu’une seule réponse d’une personne à 30 km. En Chine, c’est le nombre opposé, la majorité des chinois utilisant l’application. Vraisemblablement, la solitude des chinois ici est inimaginable, personne ne peut entendre leurs milliers de mots.
J’ai écrit ce projet de court métrage premièrement parce que le paysage singulier de Bijaia m’a beaucoup touché, surtout la nuit, mystérieuse et calme. J’ai été envoûté par ces nombreuses montagnes, ainsi que par les chantiers. Des habitants vivent au fond de la montagne, et cela ressemble énormément à ma ville natale en Chine. Dans la nuit, des voitures roulent sur ces routes, comme un serpent léger qui s’enroule autour de la montagne.
J’imagine que de nombreuses histoires pourraient se dérouler sans bruit dans cette montagne mystérieuse.
Comment ce projet s’inscrit dans votre travail de cinéaste ?
À travers mes films, je cherche toujours une poésie dans la vie quotidienne. Quand j’étais en Algérie, des paysages de montagnes, des gigantesques chantiers m’ont beaucoup inspiré.
‘‘Une goutte d’eau dans la mer’’ traite des immigrés chinois en Algérie, sur fond de deuil et d’amour, de mystère et de social. Ce film veut montrer cette population cachée, inconnue de tous, sa présence en Algérie est un tabou : ils seraient des prisonniers envoyés depuis la Chine sur des chantiers algériens interminables.
Ces chinois exilés se mêlent peu à la population algérienne. Malgré des connaissances à Bejaia, ces personnes sont discrètes. Mes contacts peuvent difficilement échanger avec eux. Je souhaiterais échanger de vive voix avec ces hommes, comprendre leur vie en Algérie, leur adaptation, leurs espoirs et leurs souffrances.
A travers le deuil, mon récit pousse une chinoise à se rendre à l’enterrement de son mari, exilé à Bejaia. Ne parlant pas l’arabe, elle se retrouve bouleversée, faisant ses adieux à un homme qu’elle ne connaît plus. Son mari s’est converti à l’Islam, a investi sur la côte. Elle erre dans la ville, ne connaissant ni la langue, les mœurs ou les coutumes, épaulée seulement par quelques amis de son mari, uniquement des hommes. Ne connaissant qu’une vie exiguë en Chine, rythmée par les codes du travail difficiles, Ying découvre une forme de liberté, où tous les codes de la société chinoise disparaissent. Ce dépaysement lui permet de faire face à ses émotions, qui l’envahissent et qu’elle accepte enfin. Son statut d’étrangère la porte dans une bulle, où plus aucune règle ne peut l’atteindre.
Tous les films que j’ai réalisés sont liés avec mes propres expériences, “ Une goutte d’eau dans la mer ’’ est aussi une histoire découverte quand j’étais en Algérie.
En tant que chinois qui vit en France, j’ai des sentiments plus affirmés et plus clairs sur la Chine aujourd’hui.
Pourquoi avez-vous candidaté à la résidence d’écriture ?
La résidence d’écriture peut aujourd’hui m’aider à centraliser mes idées, à faire le tri dans l’histoire que je veux raconter. Elle peut également me permettre de trouver une méthode de travail quant à la recherche d’informations. Mon film se veut réaliste, je ne souhaite pas raconter des choses pouvant offusquer qui que ce soit.
Enfin, l’encadrement de professionnels du scénario me permet d’appuyer mon écrit. Je souhaite pouvoir aller plus loin dans mon scénario pour faire passer émotions et informations avec très peu de support de dialogues. Mon scénario nécessite un travail poussé et approfondi afin de mener à l’écran la poésie et le réalisme de mon sujet.
Est-ce la première fois que vous travaillez en résidence ? Comment aborder vous ce mode de travail particulier ?
J’ai été sélectionné par la Mairie de Paris et envoyé à Berlin pour participer à une résidence qui était organisée par le Nipkow Programm et Medienboard.
Mais en tant que Chinois à l’étranger, je me trouve toujours solitaire. Quand j’étais à Berlin, la plupart du temps j’ai travaillé tout seul dans mon appartement. À Moulins, c’est le contraire. Avec Alexandre et Paul, nous nous entendons très bien, des problèmes liés au scénario sont souvent résolus pendant nos discussions. Et on a eu de nombreuses occasions de découvrir la ville, grâce à Yasmine. On a visité plusieurs musées, des lieux historiques selon les sujets de recherche de chacun. On parle de nos sujets de recherches pendant les visites, cela nous permet d’avoir plus d’inspirations pour l’écriture.
Par ailleurs, l’équipe de Sauve qui peut le court métrage nous permet de rencontrer des professionnels, des personnes qui pourraient nous aider pour le projet. J’ai avancé énormément sur mon projet, ma première version du scénario est née dans cette résidence ! Pour l’occasion, je voulais remercier Stéphane, Fanny, Jérôme, Vincent…toute l’équipe de Sauve qui peut le court métrage !
En arrivant en début de résidence, à quelle étape de construction du récit étiez-vous ? Une idée, un synopsis… ?
En début de résidence, j’avais une idée du projet, un synopsis détaillé, et une note d’intention. J’avais déjà une histoire en tête, mais elle n’était pas encore très développée.
Vous êtes-vous fixé un/des objectif/s d’écriture pour les semaines de résidences ?
Oui, pendant la résidence, j’ai voulu terminer la première version du scénario, même une version validée par la production.
La résidence a débuté il y a quelques semaines, comment avance votre projet ? sur quels points avez-vous pu avancer ?
Le projet a avancé beaucoup plus efficacement que ce que j’avais imaginé. La première version du scénario est faite. Pendant la résidence, j’ai beaucoup discuté avec les 2 autres résidents, Nous nous sommes conseillés, avons soulevé plein de questions sur les histoires développées…
Grâce à la résidence, j’ai eu beaucoup de temps pour réfléchir à mon projet, faire des recherches. Par exemple, l’idée “des fourmis et des cigales” qui vient dans un article Algérien. Même si je ne suis pas allé en Algérie, j’ai beaucoup approfondi mes connaissances sur le pays et les Algériens, pas mal de détails deviennent maintenant plus crédibles.
A l’inverse, avez-vous au fil des jours de nouveaux besoins prégnants en termes de ressources (documentation, rencontre, repérages,…) pour déclencher des choses en matière de création ?
Oui, Stéphane m’a aidé à trouver des cinéastes Algériens, ils m’ont donné pas mal de pistes de contacts concernant mon projet.
Mais comme les chinois et les algériens ne se croisent pas, j’ai du mal à trouver un travailleur Chinois qui vit en Algérie.
Mes contacts peuvent difficilement échanger avec eux. Je souhaiterais échanger de vive voix avec ces hommes, comprendre leur vie en Algérie, leur adaptation, leurs espoirs et leurs souffrances.
J’ai parlé avec mon producteur Khir-Din Grid, nous allons peut-être y aller directement cet été.
Comment êtes-vous accompagnés par les professionnels dans l’écriture de votre projet pendant la résidence ?
Nous avons eu des échanges autour de nos scénarios avec Pascale Faure de L’œil en plus et Marie Belhomme qui est scénariste. Elles sont super.
Pascale se concentre plus sur les personnages.
Marie se concentre quant à elle plus sur la stratégie, la narration du scénario, après une lecture ensemble, plein de détails sont devenus plus clairs, elle nous aide vraiment pour trouver le rythme du film.
Nous sommes allés aux Studios Palace, où Théophile Collier nous a apporté pas mal d’idées par rapport au son, parfois cela nous permet aussi d’enrichir l’écriture.
Quelles rencontres avez-vous pu faire pendant cette résidence pour nourrir votre projet ?
Nous logeons dans le Musée de l’Illustration Jeunesse, on a fait pas mal de visites aux Musées de Moulins avec très bonne guide : Yasmine.
On a aussi organisé une projection de nos précédents films, j’ai rencontré pas mal de jeunes qui s’intéressent au cinéma, et peut-être ils vont tenter des écoles de cinéma. C’était très agréable de rencontrer des habitants de Moulins pendant cette projection.