Dîner avec Blessed Land (Un endroit sacré)
Entretien avec Lan Pham Ngoc, réalisateur de Blessed Land (Un endroit sacré)
Pourquoi ce choix du noir et blanc ?
En fait, si vous regardez de près, vous constaterez que le film a une touche de sépia et n’est pas juste noir et blanc. Le choix de cette palette de couleurs et celui de filmer au zoom ont été dictés des questions financières. Cette décision a été prise le troisième jour du tournage, lorsque nous avons appris qu’on nous avait refusé l’autorisation de filmer sur un des lieux que nous avions choisis, et qu’il faudrait suspendre la tournage pour un mois, afin de prospecter et de faire quelques ajustements. Le fait de filmer dans ces tons (qui simplifiait également la mise en scène et donnait un effet de style classique) nous a permis d’économiser sur de nombreux postes budgétaires : l’utilisation du vieux zoom Angénieux 25-250 T3.2 au lieu d’un objectif dernier cri très onéreux, la réduction de l’équipe technique… Nous n’avions plus besoin de maquilleuses et ni d’habilleuses non plus, car les exigences dans ces domaines étaient bien moins strictes. D’un point de vue artistique, j’estime que cette esthétique classique a donné au film un côté intemporel. Et comme le temps et le souvenir sont les thèmes que je voulais aborder dans ce film, j’ai eu de la chance que tout se goupille bien.
Pourquoi avoir situé la scène dans un cimetière ? D’où vient l’idée de la transformation du paysage ? La construction du terrain de golf est-elle un simple obstacle ou a-t-elle aussi un véritable sens ?
Il est clair que le Vietnam change très rapidement à l’heure actuelle. C’est une transformation qui ne s’impose pas seulement sur des lieux anonymes ou inconnus, mais aussi sur des sites symboliques et historiques à l’échelle nationale. Si vous allez au Vietnam et que vous y retournez six mois plus tard, il y a de grandes chances pour que vous ne reconnaissiez plus les lieux où vous avez séjourné ni ceux que vous avez visités. C’est une chose qui vous frappera forcément si vous venez ici. Le cimetière a une histoire intéressante. Il appartient à un village de pêcheurs – un village chrétien, très pauvre. Pendant la période des « boat people » au Vietnam, beaucoup ont quitté le village dans l’espoir de se rendre aux États-Unis. Certains se sont noyés, d’autres ont réussi. Ceux qui ont réussi ont commencé à envoyer de l’argent à leurs familles pour faire construire ces tombes grandioses et hors de prix. Saint André est à la fois le patron des pêcheurs et celui des golfeurs. L’idée m’a traversé l’esprit que si le capitalisme s’approprie ce bord de mer pour en faire un terrain de golf, cela ne changera rien au final car le saint patron restera le même. Ce sera comme de prendre une balle de golf dans la poche gauche pour la mettre dans la poche droite.
Vous intéressez-vous à la relation mère-fils ? Avez-vous d’autres projets sur ce thème ?
Oh, je n’ai pas vraiment réfléchi à cette relation en particulier. Personnellement, j’ai une relation avec ma mère très sereine, qui n’a rien qui pourrait m’inspirer artistiquement. En revanche, dans mes autres films, mes protagonistes semblent toujours à la recherche de quelque chose, ou nostalgiques de quelque chose. Mais je ne saurais pas vous dire exactement quoi.
Quel a été votre travail sur les effets sonores ?
Je suis très sensible aux sons. Je dis bien aux sons, pas à la musique. Je n’écoute presque jamais de musique car j’ai l’impression qu’elle tente de m’hypnotiser, de me détourner de mes pensées à moi. Le son, c’est différent, quand j’entends un « bon » son, je me sens transporté. Je trouve qu’il est plus facile de s’adonner aux sons qu’à la musique, car les sons laissent la porte ouverte à l’imagination, à la créativité. Avec mon concepteur sonore, nous avons cherché à créer d’abord le fond sonore. Ensuite, nous avons ajouté les dialogues et les effets. Les sons du film s’inspirent de ce qui s’oppose, comme les deux histoires du film : la nature et l’homme, la nature et la construction, la terre et le ciel, la lumière et l’obscurité…
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées ?
Tout à fait. Le format court métrage respire toujours la liberté et la beauté. Parfois, il est même trop libre. Ce qu’il y a de plus beau dans ce format, c’est qu’il procure les joies et les frissons du cinéma sans les risques, les coûts ou l’engagement inhérents à la réalisation d’un long métrage.
Quelles sont vos références ?
Aucune pour ce film.
Pour voir Blessed Land (Un endroit sacré), rendez-vous aux séances du programme L4 de la compétition labo.