Breakfast avec blue affair (affaire bleue)
Entretien avec Kosuke Okahara, réalisateur de blue affair (affaire bleue)
Comment vous est venue l’inspiration pour blue affair ?
blue affair est mon projet à long terme dans la ville de Koza (Okinawa). C’est un projet photographique mais j’ai toujours eu en tête qu’il fallait en faire quelque chose de vidéographique (un projet photographique peut se concrétiser sous différentes formes, pas seulement des livres ou des tirages). Les scènes dont j’ai fait l’expérience quand je prenais mes photos me donnaient l’impression d’être dans un film. Quoique les images ne représentent que des scènes simples de vie quotidienne, les impressions que me laissait la ville étaient si fortes qu’elles se sont mises à infiltrer mes rêves. En réfléchissant à ce que j’étais véritablement en train de faire dans cette ville, j’ai eu le sentiment qu’il ne s’agissait pas vraiment d’un documentaire du quotidien de la ville, mais davantage de ma relation personnelle avec elle et avec sa population, dans la mesure où mon intention n’était pas vraiment de « raconter l’histoire » mais plutôt de faire l’expérience de ces gens et de ce lieu. Alors j’ai ressenti le besoin de faire quelque chose de plus honnête que « raconter une histoire », ce qui n’était pas vraiment mon intention de départ.
Dans quelle mesure vous intéressiez-vous déjà à la question des processus d’endormissement et de rêve ?
Je ne m’y intéressais pas avant. Les scènes dont j’ai fait l’expérience et que j’ai photographiées ont commencé à m’apparaître en rêve. C’est pour cela que j’ai fait le film de cette manière.
Pourquoi avoir choisi d’utiliser le noir et blanc et cette succession de clichés à la chronologie disloquée ?
C’était mon médium, tout simplement. Je prenais des photos en noir et blanc, ce que j’adore faire. C’est simple, mais comme cela empêche d’utiliser le pouvoir de la couleur, cela peut rendre quelque chose d’assez faible quand il n’y a rien à l’image. Par ailleurs, quand on pense aux rêves, parfois la couleur rend les choses trop concrètes, et cela enlève les impressions oniriques qu’elles peuvent inspirer. C’est pour ça qu’au final, en tout cas pour ce qui me concerne, le noir et blanc marchait bien.
Comment avez-vous élaboré le rythme du film et les sons additionnels ?
Le rythme du film vient de l’idée de faire des rêves à partir des scènes que j’ai photographiées. Quand on rêve, parfois, rien n’a de sens, tout simplement, or les scènes que j’ai photographiées avaient déjà quelque chose d’irréel. Ces instants étranges n’ont cessé ensuite d’apparaître dans mes rêves. Et à chaque fois que je rêvais de ces moments passés dans cette ville, cela me donnait envie d’y retourner. La fin du film exprime en quelque sorte ma dernière volonté : j’ai envie de retourner dans cette ville et de disparaître de la réalité.
Pouvez-vous nous parler de votre intérêt pour la photographie animée et/ou floue ?
Le flou, ça ne m’intéresse pas en soi. Ça s’est parfois produit parce qu’il faisait sombre, tout simplement. Sur une même pellicule, la plupart des images sont nettes. Mais dans la mesure où j’ai principalement photographié la nuit, c’est arrivé que certaines soient floues. Ce que j’aime en photographie, c’est « l’accidentel ». On ne sait pas trop ce qu’on va trouver avant d’avoir développé la pellicule. Parfois on a de mauvaises surprises. Parfois ce sont de bonnes surprises. J’aime vraiment beaucoup ce genre de magie en photographie. C’est important d’essayer de s’exprimer, mais si l’expression devient trop intentionnelle, on risque d’y perdre quelque chose d’authentique ou de magique. Dans ce projet-ci, je me suis énormément reposé sur cette magie, car je voulais sortir d’une logique de documentaire très retravaillé au montage – qui est la démarche de beaucoup de gens – pour rechercher une forme plus pure de documentaire, ou une manière d’être plus honnête en tant que photographe. C’est un sujet trop long à aborder ici, mais l’une des raisons pour lesquelles ce travail a vu le jour, c’est le doute que j’avais à propos du mot « documentaire » tel qu’on l’emploie aujourd’hui.
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
Dans la mesure où je n’en suis qu’à mes tout premiers pas dans le domaine du court métrage (c’est le premier que je réalise) et que je ne me considère même pas comme un réalisateur, mais un photographe, je n’en ai pas la moindre idée, mais ce médium m’a ouvert tellement de possibilités ! Je ne me suis servi que des photos que j’ai prises et des audios que j’ai enregistrés pour réaliser le « rêve » que je voulais exprimer et le format du court-métrage m’a permis d’ouvrir tellement de pistes, même en seulement quinze minutes. Je ne me rendais pas compte de tout ce que je pouvais faire grâce à ce médium au début.
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous pour échapper à l’ennui ?
Je pense que c’est une bonne occasion de se mettre à créer chez soi et ne pas se contenter de consommer quelque chose de culturel. Les objets culturels comptent beaucoup, bien sûr, mais ne pas se contenter d’être consommateur, se mettre à pratiquer quelque chose soi-même est une occupation du temps plus valorisante et constructive. Rien que découper du papier ou filmer une vidéo avec son téléphone, etc. Il y a plein de choses culturelles que l’on peut faire et apprécier à la maison. J’ai passé le confinement à monter ce film, mais en même temps je fabriquais aussi des boîtes pour l’édition spéciale de mon dernier livre (qui porte le même titre que mon court-métrage), et c’était très amusant.
blue affair (affaire bleue) est présenté en compétition labo L4.