Breakfast avec Démontable
Entretien avec Douwe Dijkstra, réalisateur de Démontable
La première scène de votre film montre un poste de radio posé sur une table de cuisine. Tandis qu’une main tourne le bouton pour chercher une station, de petits soldats en plastique débarquent en hélicoptère. Comment avez-vous eu l’idée de transformer un espace en général serein (la cuisine) en champ de bataille ?
C’est ma façon de parler de cette présence des informations et des médias dans notre quotidien, et notamment les infos concernant les conflits armés. Malgré leur omniprésence, ces choses, la plupart du temps, ne nous concernent pas. Nous les absorbons vite fait, et comme ce sont en général des événements très lointains, cela reste très superficiel. Et cela donne un mélange absurde de plusieurs réalités.
Comment avez-vous eu l’idée de mêler prises de vues réelles et animation ? Aviez-vous déjà utilisé cette technique ?
J’avais déjà travaillé avec cette technique, et si je continue dans cette voie, c’est surtout pour que les petits événements que je montre soient réalistes. Pas dans le sens d’une photo-réalité, mais je veux donner une impression d’analogique, essayer de créer un contraste naturel entre ce qui est « réel », normal, et ce qui est surréaliste, animé.
Les soldats ont un comportement plutôt absurde, ils n’en font qu’à leur tête. Est-ce pour se moquer de cette violence que l’on écoute en mangeant ?
Le soldat qui joue au badminton contre le ventilateur, par exemple, c’est pour se moquer de la guerre. C’est aussi une allusion à Don Quichotte, dans un sens. Et l’absurdité des événements qui se déroulent sur la table évoque l’étrange coexistence entre « ici » et « là-bas » lorsque nous regardons les infos à la maison.
On ne voit pas beaucoup de visages dans votre film…
Je voulais que le spectateur se concentre sur les événements, pas sur le personnage principal. J’ai tenté de raconter l’histoire par des actions et des symboles qui touchent tout le monde, et non à travers les émotions de la personne attablée. Montrer des visages peut aider à rendre une histoire très vivante, mais cela limite aussi le recours à l’imaginaire dans notre perception des images.
Étiez-vous fan de soldats de plomb et de miniatures dans votre enfance ?
À vrai dire, mes parents m’interdisaient d’avoir des pistolets ou des jouets de guerre. Et bien sûr, je n’en étais que plus attiré par ces choses-là. J’essayais toujours de fabriquer des soldats en Lego, mais je n’étais pas non plus obsédé par les soldats, comme le film pourrait le faire croire.
Comment avez-vous conçu la bande-son ?
Comme pour les images, j’ai voulu créer des sons qui fassent vrai. Rob Peters a fait un super boulot sur le son, en créant une bande sonore très crédible mais sans en faire trop non plus. Quand je le pouvais, j’enregistrais le son en filmant, et Rob en réutilisait des extraits. Pour le son de la radio, au début du film, j’ai utilisé un collage de chansons et d’extraits d’émissions de radio, ce qui constitue une sorte d’introduction poétique au film.
Le film tourne vite au « making of », où les techniques de mise en scène sont dévoilées : on voit les écrans verts, la création des effets spéciaux, etc. Pourquoi avoir choisi ce tournant ?
Le film parle de réalités différentes. La réalité des infos, très lointaine, peut sembler abstraite, ou fabriquée de toutes pièces. En faisant le film, j’ai reproduit certaines images des infos, et en montrant le cinéaste (moi) à l’ouvrage dans cette recréation, je pouvais insister sur la difficulté de se sentir concerné par ces événements lointains. C’était bizarre de se déguiser en soldat, de reconstituer des scènes que l’on raconte aux infos. C’est un spectacle un peu ridicule, et qui en dit long sur la reconstitution de la réalité et l’empathie.
Le titre Démontable fait-il référence au décor du film ? Pourquoi ce titre en français ?
Oui, mais il évoque surtout ce mélange artificiel de réalités que constitue notre quotidien à l’époque de la surinformation. Il existe des mots en anglais ou en néerlandais pour désigner la même chose, mais je ne les aime pas. « Démontable » sonne bien et se comprend parfaitement même si l’on n’est pas francophone.
Le film doit-il être abordé comme une performance ou un récit ?
Un récit, je pense. Mais tout dépend ce que vous entendez par ces termes. Ce n’est pas un récit classique, mais la narration sous-jacente est plus importante à mes yeux. Cela dit, certains apprécieront le film pour son côté performance, sans être touché par les éléments narratifs. C’est bien aussi.
Les soldats semblent s’en prendre souvent aux artistes qui racontent l’histoire, par exemple la main qui est écrasée par une voiture à la fin du film. Est-ce dangereux de faire de l’art ?
Je pense que l’art est quelque chose de fort, donc de dangereux. Mais la main qui est heurtée par la voiture ne représente pas l’artiste à mon sens, c’est la seule main qui entre dans le cadre en provenance du public. Pour moi, elle incarne l’ignorance face aux médias modernes et toutes les possibilités qu’ils recèlent. Les humains face à leurs écrans. Et ça, c’est quelque chose d’encore plus dangereux, et nous finirons par en prendre conscience, mais non sans nous y brûler les mains de temps en temps.