Breakfast avec La danse des mots
Entretien avec Jean-Marc Rohart, réalisateur de La danse des mots
Comment avez-vous eu l’idée de réaliser La danse des mots ?
J’avais depuis une dizaine d’années dans mes tiroirs une musique composée par un ami que j’ai écouté des dizaines de fois avec mon petit enfant qui dansait joyeusement à chaque écoute, avec l’idée d’en faire un jour un film. J’ai finalement travaillé sur ce film pendant l’été 2014, en premier lieu à l’écriture d’un texte sur cette musique. Comme mes films précédents étaient plutôt dans une veine « burlesque », j’ai essayé pour une fois d’écrire un texte « sérieux » parlant d’une course vers un amour impossible… Et ce qui devait arriver arriva : au bout d’une dizaine de jours d’écriture, de recherche, et de désespoir de n’arriver à rien qui me satisfasse, j’ai fini par prendre le micro et improviser en direct un texte qui n’avait rien à voir, sans même en maîtriser totalement le contenu et la portée. Après encore un peu de travail j’ai soumis les deux versions au musicien qui m’a de suite répondu que c’était cette version, la bonne… Donc de nouveau dans le burlesque, mais cette fois avec une bonne dose de cynisme et d’autodérision.
Pensez-vous que les mots ont un pouvoir ?
Oh que oui ! Peintre de formation et un peu par « transmission familiale », j’ai toujours été fasciné par le langage, surtout par ce qui nous échappe lorsqu’on parle, passionné également de psychanalyse et de tout les lapsus et autres glissements de la langue. Mes précédents films mettent en scène un conférencier passionné par l’art qui nous explique comment visiter un musée (L’harmonie cosmique), comment réaliser une peinture (La quiche au l’art), son discours est rempli de lapsus et de glissements tant les mots se jouent de lui.
Avec quel rapport à la musique et la structure musicale avez-vous écrit La danse des mots ?
La musique de Stéphane Milleret m’évoque une course sans fin, et j’aime beaucoup cette idée de courir après quelque chose, comme à la recherche de… on ne sait quoi. C’est la première fois que j’ai eu envie d’écrire un texte sur une musique, peut-être le souvenir de mon enfant sautant et dansant à chaque écoute, il y a un aspect joyeux dans cette musique, mais finalement pas seulement, lorsque les variations arrivent vers le milieu il y a une angoisse qui monte. J’ai aussi pensé à la chanson de Nougaro « À bout de souffle » sur une musique de Dave Brubeck. Et puis, lorsque j’ai improvisé sur la musique comme expliqué plus haut, ça a bien sûr dérapé, comme finalement l’histoire également dérape pour échapper au narrateur qui se demande un peu ce qui lui arrive, même si au final tout « ça » ne lui déplaît pas, bien au contraire..
Comment avez-vous travaillé l’animation dans La danse des mots ? Comment avez-vous conçu les différents « thèmes » d’images, définis par des styles graphiques très différents ? Pourquoi le cubisme vous intéressait en particulier ?
Les images sont donc réalisées après le son. Je ne suis pas plus que ça attiré par « l’animation classique », même si je peux en être admiratif, mon désir d’animation se situe à la base pour faire « vivre » une peinture. Dans le film, il y a au départ cette idée de marche, puis de course, et les événements défilent, les éléments sont parfois là pour aider la compréhension de la bande-son qui est particulièrement intense. Et puis quand l’histoire commence à échapper au personnage, l’idée était qu’elle échappe aussi au film lui-même. Pour le cubisme, étant peintre de formation, la référence à Picasso ou Cézanne est incontournable.
Avec quelles intentions avez-vous choisi d’intégrer la présence de chasseurs dans votre Danse ?
Le film fait référence aux contes pour enfants, d’où la présence du loup, puis des chasseurs, mais cette fois ils ne vont sauver personne, bien au contraire. Je crois que j’avais (en fait je suis même sûr) des comptes à régler avec certains membres de ma famille et certains de mes amis, ce qui pourrait aussi expliquer la présence des chasseurs qui ne vont sauver personne. Les chasseurs sont aussi une petite référence à « Pierre et le loup », d’ailleurs le narrateur dit à un moment « la musique, elle fait bien les chasseurs »…
Il m’a semblé que dans La danse des mots, les portraits de famille, représentant éventuellement des aïeux déjà morts, prennent vie. Le pouvoir de l’animation est-il de redonner vie à une image « morte » ?
Oui, tout à fait. Dans mes films précédents consacrés à l’histoire de l’art, il était déjà question de faire vivre des peintures… La peinture est confrontée à ce problème des musées qui sont parfois terribles de solitude et de grisaille. Le musée fait toujours un peu peur et bien souvent on est trop sérieux devant les œuvres. Dans L’harmonie cosmique, j’invitais le spectateur (le spectre-acteur) à faire de son propre regard une œuvre d’art, « c’est la manière de regarder l’œuvre qui est un acte artistique », j’invitais également à l’échange entre les spectateurs pour qu’ensemble ils deviennent des « acteurs de l’harmonie cosmique ». Et donc, évidemment, il y a ce plaisir incroyable et fascinant de pouvoir animer et de donner la vie à des images. Dans le générique de mes premiers films et donc mes premiers pas dans l’animation, je redécouvre le simple plaisir de faire bouger des lignes qui vont donner à voir se transformer des tableaux. Dans le film Imaginons, je prends plaisir à associer les tableaux entre eux pour leur donner un autre sens et une nouvelle vie, ainsi que faire le lien entre les divers courants de la peinture.
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Le côté décalé et drôle du texte qui accompagne La danse des mots donne une sensation de détachement total à l’image, pourquoi avoir choisi de créer ce recul, cette soupape d’humour ?
Il y a peu de temps, j’ai réalisé une version anglaise du film, c’est une amie qui dit le texte. Et cette expérience m’a beaucoup appris sur mon film et sur ma façon de parler, et j’ai eu du mal à expliquer à la narratrice les affects du personnage pour qu’elle se l’approprie. Il y a quelque chose d’un peu psychotique dans ce personnage mais pas seulement, c’est évident que l’aspect burlesque aide beaucoup à faire passer la pilule, sinon l’histoire serait insupportable. Le personnage semble à mi chemin entre le conte et le réel, peut-être… Je suis d’accord avec vous, il y a « un détachement total à l’image », et là, franchement, j’ai du mal à expliquer qui est vraiment ce personnage et d’où il parle.
La Mort est très présente dans La danse des mots. Que pensez-vous des différents cycles de la vie et des répétitions générationnelles ?
Il y a une phrase dans le texte directement tirée de la psychanalyse et mise là à dessein : « ça fera des squelettes… dans le placard ». Oui, je pense que nous traînons avec nous nos histoires familiales, en bien et en mal. Et le film se termine sur cette phrase sans doute illusoire : « il faut tirer un trait sur le passé »… mais tout de même, les morts continuent à danser dans les bois.
Peut-on dire que les oiseaux ne font pas des lapins ?
J’ai bien ri en créant cette séquence ! J’ai régulièrement en tête cette phrase de Léo Ferré (avec sa manière inimitable de déclamer) « Je me demande pourquoi la nature met tant d’entêtement à faire que les fils ressemblent à ce point à leurs pères… ».
La « chansonnette » de La danse des mots peut aussi faire penser aux jeux d’enfants avec la Mort, comment avez-vous travaillé le texte et avez-vous puisé une partie de votre inspiration dans les cours d’école ?
Comme je l’ai dit au début, c’est en dansant et en voyant mon enfant sauter et tourner sur cette musique que j’ai eu envie d’en faire quelque chose un jour. Tout le film est imprégné de l’enfance et de l’innocence, avec tout ce que ça a aussi de cruel.
En écrivant La danse des mots, avez-vous pensé aux relations dites « toxiques » (comme certains champignons) ?
En fait, je suis aussi assez amateur de champignons, mon père était un grand connaisseur de champignons, il est d’ailleurs mort en emportant avec lui ses secrets de coins de champignons (en écrivant cela je me rends compte à quel point il a inspiré ce film où, effectivement, on n’y trouve pas de champignons), il avait aussi beaucoup d’humour que je lui dois… Quant aux relations « toxiques », oui bien sûr…
Pensez-vous que le court métrage soit un bon outil pour questionner la cellule familiale et la « méga » cellule sociale ?
Oui, je l’espère. Les œuvres nous aident à nous construire. En ce moment, avec mon enfant (qui a grandi) nous regardons tous les films de Hitchcock les uns après les autres. La subtilité et la délicatesse avec lesquelles il nous donne à voir les relations familiales et humaines, c’est à chaque fois un sujet de réflexion qui nous nourrit et nous grandit.
La danse des mots a été réalisé avec une production, une coproduction ou en auto-production française. Avez-vous écrit ce film en considérant cet aspect « français » : rattaché des références cinématographiques, construit un contexte spécifique (dans une région par exemple) ou intégré des notions caractéristiquement françaises ?
En créant la version anglaise, je me suis interrogé sur l’aspect universel, ou non, de mon film, en fait je ne sais pas… Je pense que le petit chaperon rouge, le loup, les chasseurs, les contes sont assez universels. Pour ce qui est des relations avec sa famille et ses amis, je pense que ça doit être encore plus universel, mais il est vrai que notre notion de la famille est assez éloignée de ce qu’elle peut-être en Asie, ou en Afrique. J’ai un peu de mal à répondre à cette question et sans doute vous sauriez mieux que moi y répondre et je serai ravi de continuer cet échange avec vous.
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Pour voir La danse des mots, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F2.
Les spectateurs de la séance F2 au cinéma Le Rio lundi 8 février à 14h pourront discuter avec le réalisateur à l’issue de la projection.